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très perfectionné, très souple, passera partout; ponts et stations sont en bois : on vise avant tout à l’économie. Ainsi la compagnie limite ses risques, et, mesurant strictement les dépenses de l’exploitation au trafic, peut payer ses charges fixes dès la première année sur son produit net. Puis, à mesure que le trafic et les besoins de la région s’accroissent, la compagnie améliore l’état de la voie, étend son service d’exploitation et développe ainsi progressivement ses moyens jusqu’à ce que la ligne atteigne son état normal, ou que de nouvelles augmentations d’affaires réclament des perfectionnemens nouveaux dans l’outillage. A côté des grandes lignes de l’Est, en tout comparables, sinon supérieures, à nos meilleures lignes européennes, il y a donc aux Etats-Unis non pas un modèle unique, mais une série continue de types de voies ferrées à diverses phases de leur croissance, toujours en progrès, sans rien de définitif, et dans un perpétuel « devenir ». Les Américains ont ainsi fait des chemins de fer un instrument plus maniable, qu’ils ont adapté avec une souplesse merveilleuse à des conditions d’application très diverses, et dont ils ont largement étendu l’emploi. Le procédé de la construction provisoire et du perfectionnement progressif leur permet de mesurer toujours les capitaux engagés et les dépenses faites aux exigences actuelles du trafic et à l’importance présente de l’affaire; il restreint les risques de l’entreprise et en hâte la productivité.

Dans l’exploitation apparaît maintenant l’esprit essentiellement commercial qui préside à la gestion des chemins de fer. Les compagnies ont pour objet de vendre au public un service, qui est le transport, tr (importation, comme disent les Yankees ; elles vont donc, aux dépens les unes des autres, tâcher d’en vendre le plus possible, et rivaliseront de zèle dans l’invention de procédés pour attirer la clientèle. Le voyageur européen arrivant à New-York trouve sur les quais mêmes de North river, où il débarque, les agens de tous les grands chemins de fer américains : voilà le premier signe de la concurrence. Monte-t-il bientôt après le long de Broadway pour gagner la ville haute, il voit à chaque pas, de chaque côté, des bureaux de compagnies, luxueusement installés, attirant les yeux par les grandes initiales dorées et énigmatiques qui les surmontent et en couvrent murs, fenêtres et portes ; toutes les lignes sont représentées, et plus elles ont d’agences, plus elles auront de faveur près du public. Le N. Y. C. and H. R. (New York Central and Hudson River) a ainsi dans la seule ville de New-York huit ou dix bureaux à voyageurs, dont chacun se loue par an 50 000 francs au bas mot; le B. and O. (Baltimore and Ohio) en a six, et toutes les compagnies principales font de même dans les grandes villes. Chacune d’elles distribue gratuitement