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toutes les législatures se virent bientôt contraintes d’abroger bon gré mal gré leurs lois de proscription, et, sans renoncer à la campagne entreprise, elles eurent recours à une autre arme de combat, la nomination de « commissions de contrôle » investies du pouvoir limitatif de fixer des tarifs « raisonnables ». Ce fut la seconde phase de la lutte contre les chemins de fer, et sous cette nouvelle forme, les hostilités se sont prolongées jusqu’à aujourd’hui dans plusieurs États; c’est ainsi qu’une décision toute récente de la cour suprême vient de trancher en faveur des compagnies un débat qui durait encore dans le Texas. La plupart des commissions locales ont d’ailleurs fini par se montrer modérées dans leurs exigences, et bornent maintenant presque partout leurs attributions à un contrôle plus ou moins sérieux de l’exploitation technique. Mais les compagnies, pour être sorties victorieuses de la guerre, n’en ont pas moins payé les frais, et, dans plusieurs États, les conséquences de la crise ont été désastreuses : les lois passées dans l’Iowa et dans l’Ohio en 1885 étaient, de l’aveu de tous, absolument confiscatoires ; en Wisconsin, lorsque les lois de tarifs furent abrogées, il n’y avait plus une compagnie qui distribuât des dividendes, et quatre seulement payaient encore les intérêts de leurs emprunts.

Cependant, au milieu des violences inutiles des Grangers, l’opinion publique réclamait vivement du Congrès la répression effective des abus reprochés aux compagnies de chemin de fer ; la réglementation du commerce d’État à État rentrait en effet dans les pouvoirs de l’autorité législative fédérale, et c’est surtout entre États voisins que les inégalités de tarifs produisaient leurs résultats déplorables. Après un enfantement fort difficile, le Congrès donna enfin le jour, le 4 février 1887, à une loi d’ensemble, an act to regulate commerce, qu’on appelle d’ordinaire Interstate commerce law, ou encore Reagan bill, du nom de son principal promoteur, M. Reagan, sénateur du Texas. L’Interstate commerce law, nous le savons déjà, prohibe les pools et les discriminations ; elle prescrit que les tarifs seront « raisonnables », sans dépasser pour un parcours donné la taxe afférente à un parcours plus long ; elle ordonne la publication officielle par les compagnies de leurs tarifs et institue une commission de sept membres pour trancher les différends qui pourraient naître de son application. Cette loi, qui à l’origine inspira aux partisans des compagnies les plus vives inquiétudes, n’a eu jusqu’à présent qu’un effet pratique assez restreint. Le manque de précision de ses termes, le défaut de moyens de preuve et la difficulté de la répression, ont rendu son exécution rigoureuse très difficile; telle de ses prescriptions, par exemple la clause sur les tarifs différentiels, est restée