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en matière de chemins de fer, que le prix du transport des produits est sans conteste le plus bas. Comparons à cet égard l’Union nord-américaine avec la France : sur l’ensemble du réseau des États-Unis le produit brut moyen par tonne et par kilomètre est de 3 centimes, en France (1892) il varie de 4 centimes 66 (Nord) à 6 centimes 203 (Midi). Les mouvemens les plus prononcés de réduction des tarifs se sont fait sentir dans la période de 1873 à 1878 et dans la période de 1882 à 1886. Or, dans l’ensemble, cette diminution a marché d’un pas beaucoup plus rapide que ne l’ont fait les progrès du trafic général, et au point de vue financier on ne peut que constater en Amérique un abaissement énorme dans la productivité des entreprises de chemins de fer.

Dans le Royaume-Uni, le produit net des lignes ferrées, qui s’élevait en 1872 à 4,74 pour 100 du capital d’établissement, ne représentait plus en 1892 que 3,85 pour 100 de ce même capital : la réduction du profit est, comme on le voit, déjà fort sensible. Prenons maintenant les chemins de fer aux États-Unis à ces deux mêmes époques : en 1872 leur rendement est de 9 pour 100 du capital engagé; en 1892 il tombe à 3,01 pour 100. Cherchons quelques données plus précises que des moyennes chez les compagnies que l’opinion place le plus haut dans ses faveurs : l’Illinois central railroad, voyons-nous, n’a jamais donné à ses actionnaires moins de 8 pour 100 par an jusqu’en 1885, et il ne paie plus maintenant que 5 pour 100 ; le New York central and Hudson river railroad a distribué des dividendes annuels de 8 pour 100 jusqu’à l’époque de sa lutte avec le West shore (1884) et ne donne plus depuis que 4 à 5 pour 100; ces exemples pourraient se multiplier à volonté. Ainsi, en même temps que la liberté excessive dans la construction donnait lieu à un gaspillage déplorable du capital national, la concurrence immodérée dans l’exploitation abaissait outre mesure la productivité légitime de ce capital, et les guerres de tarifs, jointes aux spéculations malheureuses, amenaient d’immenses désastres financiers, des crises terribles comme celle de 1873, avec la ruine inévitable d’un certain nombre de compagnies. Aux États-Unis les chemins de fer, assimilés à une industrie ordinaire par leur régime économique, participent tous plus ou moins aux conditions d’instabilité et de variabilité qui caractérisent les entreprises purement industrielles. Nulle part on ne trouve plus qu’en Amérique de diversité dans la situation financière des compagnies ; les plus solides d’entre elles s’y croisent avec les moins recommandables, et à Philadelphie le Pennsylvania railroad, qui dispute au New York central le surnom de Standard railway of America, a ses bureaux contigus à ceux d’une compagnie qui a déjà fait deux fois faillite et dont l’histoire