Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/400

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LES CHEMINS DE FER
AUX ÉTATS-UNIS

« En Europe la question est de créer des chemins de fer, en Amérique, de les tenir sous la domination de la loi (to control them). » Telle est, dans son expression forcée, mais caractéristique, l’opinion que nous avons souvent entendu émettre aux États-Unis, non sans y trouver d’ordinaire une nuance de dédain pour le vieux monde. Un coup d’œil jeté sur les progrès et l’état actuel des chemins de fer dans l’Union nord-américaine nous permettra de voir ce qu’il y a de vrai dans cette parole.

Le premier chemin de fer a été entrepris en Amérique en 1827 ; vingt ans plus tard les États-Unis ne comptaient encore que 14 000 kilomètres de lignes ferrées ; aujourd’hui le réseau comprend 282 000 kilomètres, soit un quart de plus qu’en Europe, pour une superficie territoriale plus petite du sixième et pour une population cinq fois moindre ; c’est le réseau le plus serré qui soit au monde. Depuis l’ouverture de la première ligne transcontinentale, célébrée solennellement à Promontory Point le 10 mai 1869, cinq nouvelles voies ont percé les Rocheuses de part en part et assuré ainsi l’union des États du Pacifique au reste du territoire, sans compter leur rival du Nord, le Canadian Pacific railway, qui a doté le commerce du globe d’une nouvelle grande route et fait l’Extrême-Occident de l’Extrême-Orient. De tous côtés la fièvre du mouvement étonne des yeux européens. Voyez chacun des marchés de l’ouest, chacun des centres manufacturiers de l’est des États-Unis : autour d’eux c’est un rayonnement extraordinaire et indescriptible de lignes enchevêtrées qui se divisent, se coupent, se multiplient et fuient dans toutes les directions,