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la source d’Agar, la célèbre fontaine de Zemzem. Sur les rapports des médecins le vali a fait savoir aux pèlerins qu’il les engageait à en user aussi modérément que possible. Mais cet avis du vali, mettant en suspicion une source sacrée, a été pour les hadjis un véritable sujet de scandale et n’a pas été écouté. Aussi le vali pas plus que le grand-chérif n’oseront-ils jamais, de peur de provoquer un soulèvement, fermer l’accès de la source placée dans l’enceinte même de la grande mosquée, but du pèlerinage[1].

On voit par là combien sont difficiles à régler toutes les questions de salubrité et d’hygiène qui touchent à cet exode annuel du monde musulman vers les villes saintes, et que la bonne volonté des autorités ottomanes elles-mêmes sera souvent exposée à échouer devant l’ignorance et le fanatisme de la foule qui ne veut souffrir aucune atteinte aux traditions qu’elle vénère, et aux usages séculaires qu’elle est habituée à observer. En 1893, on savait un mois avant les fêtes que le choléra sévissait à la Mecque; 2 000 à 3 000 pèlerins qui attendaient à Suez n’en sont pas moins partis ; il paraît qu’en les empêchant on eût commis un véritable sacrilège. Il est politiquement et matériellement impossible d’empêcher le pèlerinage. Du moins les puissances doivent-elles veiller à ce que les pèlerins soient placés à l’aller et au retour dans les meilleures conditions possibles. En les rendant plus forts, on les rendra plus aptes à résister à des maladies qu’ils ne nous rapporteront pas. Plus on fera pour le pèlerin, et moins on aura à faire contre lui.


A. PROUST.

  1. Dans une conférence faite à la Société littéraire mahométane de Calcutta, le Dr Hart, de Londres, appela l’attention du Sultan et des mahométans éclairés sur le danger créé par les ablutions pratiquées avec l’eau de Zemzem et proposa de la remplacer par l’eau pure de l’Arafat. Mais le président fit observer qu’il s’agissait là d’un rite sacré que les ulémas seuls avaient le droit de modifier.