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Le grand-chérif perd son calme et dicte au vali une réponse sans précédent dans la correspondance, toujours si mesurée dans la forme, des fonctionnaires ottomans. Le vali, dans ce document, invite le consul de Hollande « à ne pas rapporter au vilayet de fausses nouvelles, ainsi qu’il l’a déjà fait plusieurs fois ». Il lui demande s’il était « ivre ou fou » lorsqu’il a écrit sa lettre, et rappelle, avec une assurance ironique qui, dans l’espèce, n’était pas sans saveur, que lui, Ahmed-Ratib, est représentant de Sa Majesté Impériale et non pas agent d’une compagnie de navigation quelconque. Enfin il l’avertit « qu’il ne sera plus répondu aux lettres du consulat de Hollande, et que, si l’homme indigne qui en a la charge continue à importuner le vilayet, la Sublime Porte sera avertie et priée de faire le nécessaire auprès de la légation des Pays-Bas à Constantinople. » Toutes relations étaient immédiatement rompues entre le consul de Hollande et le vilayet. Quelques jours après, le consulat d’Angleterre, sollicité par les agens des compagnies anglaises, faisait cause commune avec le consulat des Pays-Bas. Mais leurs efforts combinés sont restés sans résultat; Herclotz n’en a pas moins continué à distribuer ses billets de passage. Au fur et à mesure qu’il avait un chargement, il télégraphiait à son mandant d’envoyer un navire, et expédiait les pèlerins à Djeddah, où ils attendaient l’arrivée du navire pour lequel ils étaient inscrits. On assure que le succès de la combinaison Herclotz a été pour beaucoup d’affréteurs une véritable ruine. La suppression de la concurrence a mis à la merci du pseudo-musulman tous les passagers de l’océan Indien, dont un grand nombre est mort à Djeddah, attendant en pleine épidémie cholérique, le vapeur promis trop lent à venir. On conçoit aisément que, pour mener à bien le succès de la combinaison Herclotz, l’autorité locale se soit réservé toute liberté d’action du côté des Bédouins. On a fait taire, par des distributions de subsides et de grains, les ressentimens laissés chez les tribus par les événemens de l’hiver précédent. On semble même avoir quelque peu négligé le pèlerin algérien, beaucoup plus récalcitrant que l’Indien ou le Malais, et qui n’a pas dû alimenter autrement que par le nombre des offrandes la caisse du grand-chérif.

Quoi qu’il en soit, l’entreprise Herclotz avait donné en 1893 des résultats très fructueux. Aussi, en 1894, voulut-on faire mieux encore, et le grand-chérif acheta en Angleterre deux navires de fort tonnage qui, peu avant les fêtes, arrivèrent en rade de Djeddah. Mais la saison a été mauvaise pour cette opération. L’un des navires creva sa coque sur un des rochers de la