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grâce à Dieu nous n’avons pas, nous autres, de Syllabus. » Malheureusement cette proposition a peu de chances de succès.

D’après le Coran, rien de ce qui se fait à Mouna ne peut être un péché; aussi, après le sacrifice voit-on commencer de véritables saturnales qui sont le désespoir des bons musulmans. Beaucoup de pèlerins venus aux lieux saints par curiosité, par intérêt ou par vanité, plutôt que par dévotion, se livrent au dévergondage et aux excès de toute nature. Il y a là des marchands d’esclaves, des vendeurs de hachich, des marchands et des marchandises de toutes les nations et de toutes les espèces. Les pèlerins vident leur bourse et, pour beaucoup, la misère commence. Et l’on voit réunie pendant ces fêtes une foule d’hommes de toutes races, de toutes provenances, depuis le riche musulman de Constantinople jusqu’à l’Hindou déguenillé. Danseurs, psylles, charmeurs de serpens, musiciens chanteurs, aimées de bas étage transforment ce terrain sacré en champ de foire; la foule se pousse, s’agite, lance de violentes clameurs.

Le pèlerinage de la Mecque, en effet, n’a pas seulement le caractère d’une cérémonie religieuse, il est aussi une véritable foire où se traitent des affaires commerciales, et souvent même un rendez-vous où se discutent des questions politiques. Il règne d’ailleurs dans ce milieu une atmosphère toute spéciale de fanatisme et de folie. Ainsi l’an dernier le bruit y a couru que l’Angleterre allait se faire musulmane, et que, comme on avait déjà construit à Londres une mosquée magnifique, l’Islamisme continuerait à grandir et à conquérir le monde.


IV

Il y a dans le vilayet du Hedjaz deux autorités : celle du vali, qui représente le sultan, et auprès de qui les consuls sont accrédités; et celle du chérif, avec qui les consuls ne peuvent pas avoir de rapports directs : les Bédouins lui obéissent sans cesser cependant d’être officiellement sous l’autorité du vali. Le chérif est cheik de la Mecque, plus puissant, plus respecté que les autres cheiks; il est toujours choisi depuis douze siècles dans la même famille des descendans du Prophète.

La situation politique du Hedjaz ne ressemble en rien à celle des autres pays sous la dépendance de la Turquie. Les Hedjagis ne sont pas soumis au service militaire; ils ne payent pas d’impôts; ils reçoivent au contraire des subsides en vivres et en argent du sultan et du khédive d’Egypte. Le chérif, chargé de les distribuer, ne donne d’ailleurs aux Bédouins qu’une partie de ce qu’ils devraient