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le chemin, ils sont foulés aux pieds. Chacun doit, en effet, passer dans l’espace compris entre deux colonnes, distantes l’une de l’autre d’environ six mètres. C’est alors un véritable engouffrement, tout se précipite vers cet étroit passage, hommes, femmes, enfans avec leurs bagages et leurs chameaux. En 1892, plus de 30 personnes y furent écrasées.

Les sacrifices du Courban-Bairam ont lieu le lendemain dans la vallée de Mouna[1]. Le sacrificateur tourne la tête des moutons ou des bœufs vers la Kaaba en prononçant les paroles sacrées. En 1893, plus de 120 000 moutons ont été égorgés. Le jour des sacrifices est la journée critique, car la vallée est étroite, dépourvue d’eau, encaissée, et continuellement surchauffée par les rayons d’un soleil ardent. Burton raconte que jusqu’en 1856 aucune précaution n’avait été prise contre les accidens pouvant succéder à cette putréfaction. Les cadavres des animaux sacrifiés étaient enfouis à une profondeur dérisoire. Quelques-uns se putréfiaient à l’air libre.

Et cependant cette vallée de Mouna, où depuis des siècles des victimes innombrables ont été immolées par les pèlerins, n’offre pas l’aspect sinistre que l’on pourrait supposer. Si, au moment des fêtes elle est le théâtre de tout ce qui a été décrit, elle offre en dehors du pèlerinage, un aspect plutôt riant et très pittoresque. On ne voit ni ossemens ni aucune trace d’immondices. Autrefois la chair de la presque totalité des victimes devait être consommée. par les pèlerins soit sur place, soit à la Mecque; mais depuis que les facilités de communication, l’ouverture des voies maritimes, la navigation à vapeur, ont si considérablement augmenté le nombre des pèlerins que la chair des animaux sacrifiés ne peut plus être consommée en entier, on l’enfouit ou bien on l’abandonne sur place ; et cependant deux ou trois mois après le pèlerinage on n’a pu constater aucun débris d’animal, ni aucune trace d’ossemens. Les restes avaient été mêlés au sable et dispersés par le vent, ou entraînés par les eaux fluviales. On a récemment proposé de brûler les cadavres d’animaux sacrifiés à Mouna, d’en faire du noir animal, et d’ouvrir ainsi une nouvelle source de gain pour le Hedjaz. L’auteur de cette proposition remarque qu’il y aura ainsi de grands bénéfices à réaliser. « L’Islamisme, dit-il, n’est pas incompatible avec le progrès contemporain,

  1. A Mouna, l’eau qui vient de Taïef pour être distribuée à la Mecque est dans une conduite en ciment très étanche; elle passe au-dessus de la vallée, sur le flanc de la montagne. Il n’y a donc pas de danger à ce point de vue. Mais, dans la vallée même, il existe une série de bassins dans lesquels l’eau potable est puisée, et chaque bassin est placé près d’une fosse d’aisances. Il est inutile d’insister sur les échanges qui doivent se faire incessamment entre le liquide de la fosse et l’eau potable.