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l’ihrâm[1] et pousse de saintes exclamations. Les femmes font entendre des houloulous, sorte de gloussement sonore et prolongé qui est la plus haute expression de la félicité religieuse.

Le port est d’un accès difficile. Dans ces passes étroites, les navires n’ont pour se guider que quatre bouées d’un volume insuffisant. Aussi les bâtimens, ceux même d’un tonnage moyen, aiment-ils mieux mouiller à près de deux milles de la ville que de s’engager au milieu des derniers bancs de coraux qui enserrent le rivage plat. Sous un ciel vivement éclairé par un soleil ardent, l’œil cherche en vain une trace de verdure ou de végétation. L’horizon est borné par une ceinture de montagnes; tout est désolé, aride, et sans le moindre cours d’eau. Des maisons blanches à trois, quatre et même cinq étages, la plupart ornées de moucharabiehs, se dressent sur un fond sablonneux et donnent abri à une population de 35 000 habitans environ, parmi lesquels on compte à peine une centaine d’Européens.

Après les formalités sanitaires, le débarquement s’effectue dans des felouques. Il faut payer au consulat le visa du passeport que le pèlerin porte suspendu à son cou dans un tube de fer-blanc; il faut payer encore ; il faudra payer partout et pour tout : pour l’eau souvent détestable, les vivres huit ou dix fois plus chers que de coutume, le change de la monnaie, les guides, les chameliers, les logeurs, les eunuques sacristains, le grand chérif, les autres chérifs, — à la Mecque tout le monde est chérif ; — sans compter les mendians, les derviches arrogans, et même les Bédouins sans foi ni loi, brigands du désert et de la montagne, qui massacrent et détroussent sans merci les caravanes. Qu’importe? Allah Kérim! Dieu est généreux! Le titre de Hadji ne saurait être trop chèrement acquis. Aussitôt débarqués, les pèlerins se dirigent, les uns vers les okhels ou khans, les autres vers les places publiques ou les terrains vagues, et y dressent des campemens en plein air.

Située par 21° 28’ sur la côte de l’Arabie, Djeddah est une ville commerciale importante mais malsaine, bâtie sur un banc de corail sans écoulement pour les eaux (il n’y a aucune trace de canalisation), avec un climat chaud et très humide. Elle est entourée d’un mur élevé en très mauvais état, presque en ruines. Les rues ne sont que de longues allées tortueuses et étroites, bordées de chaque côté par de petites baraques. Habituellement de vastes nattes en unissent les parties supérieures et forment

  1. L’ihrâm se compose de deux pièces de toile, de laine ou de coton dont l’une s’attache autour des reins et l’autre se jette sur l’épaule et le cou, mais de façon à laisser le bras droit à peu près découvert.