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losophie naturelle. De là la théorie de Darwin sur l’origine des espèces. De là surtout la philosophie de l’évolution de M. Spencer, qui va de la genèse du système solaire à celle des mœurs, des institutions et des croyances. Philosophie dont les siècles précédens ne se seraient sans doute pas contentés ! Ils n’auraient pas pris un tableau historique de l’évolution des êtres pour une explication de ces êtres. Ils cherchaient une déduction rationnelle : une généalogie ne leur aurait pas suffi. Notre temps, au contraire, se complaît aux explications historiques. A-t-il raison, ou est-il dupe d’une illusion ? Ne fait-il peut-être qu’étaler, pour ainsi dire, les problèmes dans le temps, sans les résoudre ? Nous n’avons pas ici à le rechercher : toujours est-il qu’une telle disposition des esprits est ce qu’on peut imaginer de moins favorable à la spéculation métaphysique.

Comment en effet les grands métaphysiciens, presque tous, se sont-ils formés ? Par la pratique des mathématiques et des sciences exactes. Il y a, entre cet ordre de sciences et la métaphysique, sinon une parenté, du moins une affinité évidente et de tout temps reconnue. Les philosophes ont toujours insisté sur le caractère éternel, intemporel, pour mieux dire, des vérités mathématiques. Le fait, le « phénomène » qui apparaît et disparaît, qui n’était pas tout à l’heure, et qui bientôt ne sera plus, qui se produit en un point déterminé de l’espace, qui a besoin, pour être perçu, des sens d’un observateur, ce fait, les mathématiques ne s’en occupent pas. Leur domaine est ailleurs : elles régissent le possible et le nécessaire, non le réel et le contingent. Si le fait prend quelque réalité pour elles, ce sera à titre de figure, comme expression sensible d’une vérité rationnelle, ou, selon le mot de Platon, comme symbole imparfait et tangible de l’idée pure et invisible.

Or la métaphysique ne demande-t-elle pas, elle aussi, un effort analogue à celui des mathématiques ? Ne cherche-t-elle pas par delà le phénomène, la substance, par delà le sensible, l’intelligible, par delà le relatif, l’absolu ? Si les métaphysiciens, depuis Platon jusqu’à Descartes, ont été d’accord pour voir dans les ma- thématiques une excellente préparation à leur science, c’était sans doute à cause de la rigueur de leur méthode, et pour accoutumer l’esprit à « ne point se repaître de fausses raisons. » Mais ils en avaient aussi un autre motif, que Platon a admirablement mis en lumière. Les mathématiques affranchissent l’esprit du préjugé qu’il a naturellement en faveur des sens. Elles transforment peu à peu l’idée qu’il se fait de la vérité. Est vrai non pas ce qui s’impose à nos yeux ou à nos oreilles, mais ce qui est évident pour la raison ; est vrai non pas ce qui est « perçu » , mais