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guerre. » Ce sera la guerre à coups de révolutions, en Italie, en Allemagne même : « Que la maison d’Autriche se repente de son opiniâtreté… en perdant pour jamais la plus belle partie de ses États héréditaires. » Venise doit savoir que l’on combat pour elle ; l’Italie doit fournir des hommes et de l’argent… Cependant les Directeurs eurent comme une sorte de pressentiment de leurs chimères et ils terminèrent leur dépêche par cette réflexion, la seule partie sérieuse de leur manifeste illusoire : « Le Directoire connaît votre position ; il ne s’abuse pas sur l’état de vos forces : vous ne pouvez compter que sur vous-même et sur votre armée accoutumée à vaincre. »

Bonaparte était bien, pour l’avenir, de l’avis des Directeurs : il voulait prendre le Piémont, organiser l’Italie et la tenir en dépendance, y adjoindre Venise avec toute sa terre ferme, toutes ses lagunes et toutes ses côtes, expulser les Autrichiens de Raguse et des bouches de Cattaro, s’assurer des communications avec l’Albanie, soustraire la Bosnie et l’Herzégovine à l’ambition de l’empereur, s’emparer de Malte et s’établir en Égypte ; tous ces desseins germaient dans son esprit comme dans celui des Directeurs et s’y enchaînaient par une sorte de nécessité ; mais, tandis que dans l’imagination des Directeurs ces idées se groupaient, comme en cohue, confuses et flottantes, elles s’ordonnaient dans l’esprit de Bonaparte à mesure que, l’une après l’autre, il en réalisait les conditions de succès. C’était, chez les anciens conventionnels et chez le général, la même conception disproportionnée de suprématie européenne. Le Directoire en prescrivait l’exécution à coups de décrets sans en donner les moyens, et comptant sur Bonaparte pour faire l’impossible, il le lui commandait aveuglément. Bonaparte, qui voulait accomplir l’entreprise, en voyait les moyens, calculait les étapes et mesurait les coups à la portée de son bras.

Les lettres qu’il avait envoyées à Paris, du 19 au 25 septembre, réveillèrent les Directeurs de leur rêve. Ils prétendaient faire très grand ; mais le premier pas de quoi tout le reste dépendait, était impossible sans Bonaparte : guerre, paix, victoires, argent, conquêtes, ce général tenait tout en sa main. Les grands chefs d’armée avaient disparu ou étaient écartés. Bonaparte subsistait seul, grandissant dans l’opinion, par l’évanouissement de ses émules autant que par ses propres triomphes. Le Directoire fit ce qu’il avait toujours fait depuis 1796 : il se prosterna. Quoi ! Bonaparte a douté d’eux et de leur confiance ! écrivent-ils le 30 septembre : « Vous avez dû entendre le citoyen Bottot. Citoyen général, craignez que les conspirateurs royaux, au moment où peut-être ils