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Marmont alla porter le mot d’ordre dans les divisions ; elles y répondirent par un écho formidable. « Tremblez ! écrit la division d’Augereau : de l’Adige au Rhin et à la Seine, il n’y a qu’un pas… Vos iniquités sont comptées, et le prix en est au bout de nos baïonnettes ! » « La route de Paris offre-t-elle plus d’obstacles que celle de Vienne ? » écrivit la division Masséna. Bernadotte, était-ce instinct de roi latent ? se montra seul modéré ; mais Joubert : « Il faut que les armées purifient la France ; nous passerons comme la foudre. » Bonaparte enfin, dans une proclamation à l’armée : « Les mêmes hommes qui ont fait triompher la patrie de l’Europe coalisée sont là. Des montagnes nous séparent de la France ; vous les franchiriez avec la rapidité de l’aigle, s’il le fallait, pour maintenir la constitution, défendre la liberté, protéger le gouvernement et les républicains… Les royalistes, dès l’instant qu’ils se montreront, auront vécu… » Il envoya le tout au Directoire, le 15 juillet : « L’indignation est à son comble dans l’armée… citoyens Directeurs, il est imminent que vous preniez un parti. Il n’y a pas un homme qui n’aime mieux périr les armes à la main que de se faire assassiner dans un cul-de-sac de Paris… Je vois que le club de Clichy veut marcher sur mon cadavre pour arriver à la destruction de la République. ? s’est-il plus en France de républicains ?… Vous pouvez, d’un seul coup, sauver la République, deux cent mille têtes peut-être qui sont attachées à son sort, et conclure la paix en vingt-quatre heures : faites arrêter les émigrés ; détruisez l’influence des étrangers. Si vous avez besoin de force, appelez les armées. Faites briser les presses des journaux vendus à l’Angleterre, plus sanguinaires que ne le fut jamais Marat… Quant à moi… s’il n’y a point de remède pour faire finir les maux de la patrie, pour mettre un terme aux assassinats et à l’influence de Louis XVIII, je demande ma démission. »

Il y avait des moyens, et c’étaient précisément ceux qu’il possédait : de l’argent et des soldats. Cependant Lavalette lui mande de Paris « qu’il ternirait sa gloire », en mettant lui-même la main au coup d’Etat ; « qu’on ne lui pardonnerait pas de se lier avec le Directoire pour opérer le renversement de la constitution et de la liberté. »

Bonaparte pense au lendemain du coup d’État ; ce lendemain sera son jour. Le succès même du Directoire rendra le Directoire odieux ; le retour à la révolution jacobine sera impopulaire ; les modérés, à peine remis de la crainte d’une rentrée des émigrés, tomberont dans la peur des Jacobins. Le pouvoir appartiendra à l’homme qui rassurera tout le monde, contre tous les excès.