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conséquence, il repoussait, « avec indignation toute espèce d’influence » exercée par le Corps législatif. La conclusion fut que l’on changea les ministres, mais pour en prendre d’autres plus décidément opposés encore à la majorité des conseils. Ces hommes qui parurent propres à affermir la liberté, selon Barras, Reubell et Larevellière, étaient Pléville-Le Pelley à la marine, Lenoir à la police, François à l’intérieur, Talleyrand aux relations extérieures et Hoche à la guerre. Ce dernier choix décelait tout l’esprit de la combinaison.

La constitution n’offrant aucun moyen à la majorité de faire prévaloir ses volontés et n’ouvrant aucune solution légale au conflit, on marchait fatalement à l’expédient qui, depuis le 14 juillet 1789, avait tranché toutes les grandes crises : une journée, c’est-à-dire l’appel à la force. Mais la force n’était plus dans la foule révolutionnaire, et les journées tournaient au coup d’Etat militaire. Depuis germinal an III, l’insurrection reculait devant l’armée. En vendémiaire an IV, l’insurrection était contre-révolutionnaire et l’armée parut comme l’image de la République. En messidor an V, personne n’attendait plus rien que de l’intervention des soldats, et chaque faction en cherchait un qui la pût servir de sa vaillance et de son prestige. Les « clichyens » et les contre-révolutionnaires avaient Pichegru. Moreau se réservait, tout le monde le ménageait, personne n’avait confiance en lui. Le Directoire ou plutôt les triumvirs, désormais en lutte avouée avec leurs collègues, ne pouvaient opposer au conquérant de la Hollande que le libérateur de l’Alsace, le pacificateur de la Vendée, ou le conquérant de l’Italie, Hoche ou Bonaparte. Bonaparte était nécessaire en Italie, pour les négociations, et il semblait trop envahissant aux triumvirs. L’armistice rendait Hoche disponible ; ce général inquiétait moins, on l’appela. Il accourut, et prépara, par des mouvemens concertés de ses troupes, l’investissement du Corps législatif. Mais à peine sa nomination fut-elle connue, qu’une clameur s’éleva dans les conseils. Les mouvemens des troupes furent dénoncés à la tribune le 20 juillet ; Hoche n’avait pas l’âge requis pour être ministre ; il dut donner sa démission. Le Directoire rejeta sur lui toute la responsabilité des mouvemens des troupes. Hoche quitta Paris et rejoignit son armée de Sambre-et-Meuse. Le 31 juillet, on proposa aux Cinq-Cents de le mettre en accusation. L’affaire était manquée avec lui : il s’était découvert trop tôt. Les triumvirs furent contraints de se rejeter sur Bonaparte.

Bonaparte avait auprès d’eux un avocat d’autant plus insinuant qu’en travaillant pour le général en chef de l’armée d’Italie, il