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Le Directoire ne laisse aucun doute sur le sens et la portée de ces ordres, et il montre comment il entend, le cas échéant, s’acheminer au partage par la répression : « Il sera utile d’en donner connaissance (de vos mesures contre Venise) aux plénipotentiaires de l’empereur et d’agir, dans cette circonstance, de concert avec eux, afin que les négociations de la paix ne soient point troublées. »

Le même jour, le Directoire invite Bonaparte à « faciliter les progrès » des transports des œuvres d’art d’Italie en France. Le 19, Charles Delacroix mande au général que des princes étrangers, — le roi George entre autres et le duc de Modène, — ont fait des placemens immenses sur la banque de Venise : Delacroix estime que le droit de la guerre nous autorise à saisir ces capitaux. « Permettez-moi, poursuit ce prévoyant ministre, de vous rappeler l’arsenal… Il serait aussi beau qu’utile de faire arriver à Toulon et ces navires et ces munitions, ainsi que l’escadre que les Vénitiens entretiennent toujours à Corfou. » À cette même date le Moniteur publie une correspondance d’Italie prédisant « la destruction totale » de « la plus ancienne des aristocraties ». Les Directeurs cependant feignent l’hésitation, presque le mécontentement ; ils évitent de communiquer aux conseils les dépêches d’Italie qui motivent les mesures qu’eux-mêmes ont approuvées. Sandoz écrit que Bonaparte provoque la ruine de Venise et que le Directoire s’y refuse. Il ajoute : « Bonaparte n’attendra pas peut-être le décret du Corps législatif et marchera sur Venise. » Mais tandis que les Directeurs se plaignent, à Paris, d’avoir la main forcée, ils écrivent, le 19 mai, au général : « La singularité des circonstances qui accompagnent la chute de ce perfide gouvernement est remarquable, et il ne nous reste déjà plus qu’à recueillir de cet événement tous les avantages qu’il présente au profit de la République française et de la liberté italique. Cette conquête offre à l’armée… des ressources considérables… il doit même en résulter des sommes disponibles pour le trésor national… La marine vénitienne doit surtout contribuer à la restauration de celle de la République. »

Bonaparte devançait toujours les ordres du Directoire, lorsqu’il ne les dictait pas. Par les instigations de ses émissaires secrets et des agens lombards, par l’aveuglement des démocrates vénitiens et la pusillanimité des oligarques, une révolution s’accomplit à Venise. Le 14 mai, sous prétexte de rétablir l’ordre et d’assurer la fondation de la liberté, Baraguey d’Hilliers entre dans la ville avec ses troupes. Les démocrates lui font une réception théâtrale et somptueuse ; le patriarche prêche l’obéissance au