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Comme un bon soldat prend aux ennemis mutins
L’enseigne où flotte un peu de leur âme aguerrie,
Je leur emprunterai le beau nom de patrie ! »

Il parlait, et sa voix faisait un bruit d’estoc,
Et tout à coup, parmi les pampres verts, le coq,
Le vieux coq peint en rouge enfla l’aile, et sonore
Poussa droit dans l’azur son salut à l’Aurore.

En selle! Ils ont quitté l’auberge, et leurs chevaux,
Sous les coups d’éperon des deux charmans rivaux,
Galopent : mais Ronsard, plus serein, peine à suivre
Celui de du Bellay que le grand air enivre
Et qui vers le ciel bleu relève son cou blanc,
Comme s’il se sentait pousser une aile au flanc.
Le tomber de la nuit les rapproche et les calme.
L’ombre embaume le myrte, et ces rêveurs de palme,
Devant la lune errante et rose dans les houx,
Songent en frissonnant aux yeux cruels et doux
Dont les pires rigueurs sont encor des caresses.
Ils échangent tout bas le nom de leurs maîtresses,
Ils murmurent Cassandre, Olive... noms voilés,
Masques délicieux de soie et d’or filés
Dont la Muse en riant déguise un frais visage !
Ils lèvent vers le ciel pour chercher un présage
Leurs regards curieux de tous les beaux amours ;
Et, tandis que le soir éveille aux alentours
Faunes, Satyres, Pans et les gentilles fées
Qui dansent sous les bois à cottes dégrafées,
Ils voient poindre plus loin, derrière Blois qui dort,
Les sept divins éclairs d’une pléiade d’or.

ANDRE BELLESSORT.