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sans autre plan que de contenir les Guise par son cousin, son cousin par les Guise, et ne comprenant pas que l’Espagnol va les dévorer tous. Après lui, ce cousin contesté, un petit aventurier de Béarn, huguenot, scandale pour le peuple fidèle, avec une poignée de soldats, pas un écu, de si frêles chances!

Rome serait le seul recours, si elle voulait, l’unique rempart du monde et de la France. D’Ossat l’a bien vue, la force politique incalculable, indéfectible, qu’il y a dans ce simulacre de puissance matérielle. « Aussi savez-vous que le pape et la Cour de Rome peut faire beaucoup de bien au Roy, et aider grandement à lui accommoder ses affaires et son royaume; mais elle lui peut faire encore beaucoup plus de mal, nous l’avons trop expérimenté. Le Roy d’Espagne, avec toute sa puissance et employant toutes ses forces tant par mer que par terre, ne vous peut pas tant nuire comme fait cette Cour en son séant. » — Mais Philippe enserre Rome, comme la France, par ses royaumes, ses fiefs, ses présides, ses alliés d’Italie. Il est dans Rome, ses ambassadeurs pensionnent la moitié du Sacré-Collège. « Ils en vont présentant à des cardinaux, à un mille, à un autre deux mille, à d’autres trois mille; et n’y a pas faute de cardinaux qui se vendent. » — Le grand roi n’est-il pas d’ailleurs le dernier boulevard de la chrétienté contre l’hérésie? A l’ouverture des conclaves, on fait des pointages : trente-cinq cardinaux espagnols, sujets ou créatures de Philippe; on n’en compte pas six pour la France. Grégoire XIII n’était qu’un jouet entre les mains d’Olivarès. Vient Sixte-Quint, par bonheur : ce moine entêté se démasque, il résiste. Il a pesé les deux périls du monde : la défaite du catholicisme si l’on prend parti contre Philippe, la tyrannie universelle si l’on s’abandonne à lui. Il tient le juste milieu; il refuse ses encouragemens à la Ligue, éconduit les envoyés de Mayenne. La politique de Sixte-Quint nous a peut-être préservés de la décomposition finale et de la domination étrangère, durant les années de la grande angoisse, de 1585 à 1589. Michelet, emporté par ses diatribes, n’a pas voulu voir cette vérité. L’opinion des fanatiques de Paris eût dû l’instruire. Ils parlaient par la voix du curé de Saint-André, disant en chaire, à la mort de Sixte : « Dieu nous a délivrés d’un meschant pape, et politique; lequel s’il eût vécu plus longuement, on eût esté bien étonné d’ouïr prescher à Paris contre le pape, et toutefois il l’eust fallu faire. »

Ces reproches si honorables pour le pape n’étaient déjà plus justifiés. Courroucé par la tragédie de Blois, puis effrayé par l’avènement du roi huguenot, Sixte-Quint se lasse de résister; il abandonne la cause française, la vraie, celle de ce huguenot. Après lui, des pontificats de quelques mois : Urbain VII, Grégoire