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les frottemens inévitables du spirituel et du temporel, ils faisaient entendre à qui de droit nos réclamations, devenues sur leurs lèvres expertes d’humbles suppliques, mais des suppliques derrière lesquelles on devinait la volonté résolue d’un grand plaideur. Notre pays ne s’est jamais bien trouvé d’interrompre cette tradition. Elle n’eut pas de gardien plus heureux et plus adroit que l’abbé d’Ossat.

Le goût de l’intrigue, qui est l’écueil de ces situations mal définies, n’eut aucune prise sur son âme sérieuse et désintéressée. Ce Gascon, s’il l’était vraiment, n’avait rien de l’humeur qu’on est convenu d’attribuer aux gens de son pays. Pour la gravité et la sûreté, il eût rendu des points aux négociateurs espagnols de Philippe II. Après la mort de Paul de Foix, il fut successivement secrétaire des cardinaux-protecteurs de France, d’Este et Joyeuse; gérant officieux ou déclaré des affaires royales, pendant les ruptures avec le Saint-Siège qui se répétèrent à la fin du règne d’Henri III et au début du règne d’Henri IV; adjoint ensuite aux ambassadeurs en titre, Pisany, Du Perron, Sillery, chargé de préparer le succès de leurs missions. On ne le vit jamais chef nominal de l’ambassade, il en fut toujours l’âme, le collaborateur indispensable. De bonne heure, il correspondit avec le conseil royal; la plupart de ses lettres sont adressées à Villeroy, qui l’avait distingué dans la suite de Paul de Foix. A cet absent il fallait en France une ancre solide, sur laquelle il pût s’amarrer contre toutes les sautes de vent; Villeroy ne lui manqua en aucune circonstance et le protégea contre la jalousie de Sully. Henri IV ne tarda pas à discerner le sens juste et l’inébranlable dévoûment de ce Béarnais de Rome : dès lors, d’Ossat écrivit directement et fréquemment au roi.

A partir de la mort d’Henri III, l’abbé se procura une attache officielle fort commode. Il était le fondé de pouvoirs de la reine veuve, Louise de Lorraine, pour l’instance des honneurs funèbres refusés au feu roi. Après le double meurtre des États de Blois, Henri III avait été mis en interdit. Qu’il eût fait expédier le Balafré, c’était l’affaire de la prérogative royale : on ne le tracassait pas sur ce point; mais l’exécution sommaire du cardinal de Guise, un prince de l’Eglise, cela ne se pouvait souffrir. Sixte-Quint prit feu. Henri tomba sous le poignard de Jacques Clément sans réconciliation valable ; Rome lui refusa la messe solennelle d’usage pour le repos de l’âme des rois de France. La pieuse reine Louise sollicitait ardemment cette messe, devenue l’unique affaire de sa vie : elle l’attendit plus de quinze ans, harcelant la Curie de ses tristes supplications. Son procureur d’Ossat, toujours rebuté de ce chef, plaidait mollement, avouons-le; l’instance de