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Rouen, grâce aux installations que nous venons d’énumérer.

Mais les temps ont marché : et aujourd’hui, nos deux grands ports sont semblables à de coûteux palais dont il serait interdit de franchir le seuil. Stimulé par la concurrence universelle, l’infatigable progrès a modifié les allures du commerce. Les ailes de l’agile Mercure ont encore grandi. Le temps, l’irreparabile tempus a haussé de prix : il n’en faut pas perdre un instant. S’aidant des merveilleux progrès de la métallurgie et de la mécanique, les navires ont accru leurs dimensions au delà de ce qu’on pouvait concevoir. Les rapides transatlantiques, longs de 150, même de 170 mètres, ont 8 mètres de tirant d’eau. Chacune des heures de leur existence coûte à l’armateur plusieurs centaines de francs. Ils ne viendront plus au Havre, s’il leur faut mouiller en rade, attendant qu’une marée favorable leur permette de franchir le haut-fond, toujours menacé par les alluvions, sur lequel s’ouvre la passe actuelle. Ils y viendront d’autant moins que partout, sur les cotes atlantiques, les nations voisines se sont pourvues de ports accessibles aux navires du plus grand tirant d’eau, et garnis de quais facilement accostables, où les opérations de mise à terre et d’embarquement s’effectuent avec une singulière rapidité.

Londres, à tant de docks et de warfs qu’elle possédait déjà, vient d’ajouter dans la partie inférieure de la Tamise les vastes bassins de Tilbury, et s’occupe à creuser dans son fleuve majestueux un chenal de plus de 9 mètres aux plus basses mers. Liverpool, si merveilleusement servi par la nature, n’avait qu’une imperfection : la barre à l’entrée de la Mersey. Depuis deux ans, le plus colossal engin de dragage qui ait encore été construit, capable en une heure d’aspirer plus de 100 mètres cubes de sable, approfondit la barre. Il l’a mise aujourd’hui à 6<m,750 au-dessous des basses mers de vive eau. Le travail se continue et ne s’arrêtera que quand les 30 pieds (9m,144) à basse mer de vive eau, qui sont aujourd’hui le désidératum des compagnies transatlantiques, auront été obtenus. Les grands paquebots de 8m,85 de tirant d’eau qu’on construit en ce moment à Philadelphie pourront alors, sans arrêt, pénétrer dans la Mersey. C’est affaire de quelques mois. Liverpool n’aura plus alors à redouter la concurrence de Southampton, qui a mis à 30 pieds le grand bassin de l’Empress dock et le chenal qui y aboutit.

Si le savant et habile Franzius n’a encore ouvert l’accès de Brème qu’aux navires calant 5 mètres environ, il a créé, à l’embouchure même du Weser, le port de Bremerhafen, dont le nouveau bassin, dépassant même les exigences actuelles de la marine, pourrait recevoir des navires de 9m,15. Par ses amena-