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peut plus leur imposer de corvée... Il est d’ailleurs bon pour les vieillards; la case où j’habite lui appartient; il permet à mes petits-enfans d’y demeurer et de m’y nourrir. Je n’ai besoin, pour moi, que d’un peu de riz... C’est pour Ramiadane que nous sommes venus vous supplier.

Ramiadane elle-même prit la parole :

— Autrefois, j’étais ici la servante de Ralay. Ralay me traitait bien, trop bien peut-être, car sa femme fut jalouse et me fit vendre... Je tombai alors entre les mains d’un marchand d’hommes nommé Rainiale, qui m’emmena dans l’Ouest, pour m’embarquer sur un boutre arabe et m’expédier en Mozambique... Cette vente au de la des mers est interdite par la loi... Aussi Raoulidina, l’un des gouverneurs du Bouine, ayant connu les projets de Rainiale, confisqua tous les esclaves de ce marchand... Je suis restée plusieurs mois au service de ce gouverneur, au fort de Mevatanane. Mais Raoulidina est tombé en disgrâce, à cause de son amitié pour les Français qui récoltent l’or au Bouine. Il a dû revenir à la capitale, avec tous ses serviteurs. Il ne songe aujourd’hui qu’à sauver sa tête et n’est plus -assez fort pour défendre ses biens. Rainiale m’a reprise et menace de me reconduire aux Arabes. Il ne me laisse que quinze jours pour trouver à Tananarive un acheteur qui lui donne de moi soixante-sept piastres... Je lui cache que je suis enceinte, car il exigerait davantage... Être affranchie ou rester esclave, cela m’est indifférent, mais nous n’avons plus de mère, et je voudrais demeurer ici près de mon petit frère Samisaona.

— Ces sentimens t’honorent, ma pauvre fille, mais que veux-tu que j’y fasse?... d’autres m’adressent chaque jour des requêtes de ce genre, et souvent le prix est moins élevé...

— Ce n’est pas un présent, c’est un prêt que nous demandons, interrompit le mari... j’ai une boutique et des marchandises aux environs de Mevatanane, au pays des mines d’or. Je vais y retourner, tout liquider... dans un mois, je vous rendrai les soixante-sept piastres.

— Es-tu sûr de penser encore à ta femme, quand tu reverras ta boutique?

— Je resterai chez vous, dit Ramiadane, je serai votre esclave; si mon mari ne revient pas, vous pourrez me revendre.

— Tu te trompes, je ne le pourrais pas !... Et d’ailleurs qui me garantit ta parole? Qui me remboursera si tu prends la fuite?

— Nos rizières resteront, fit le cousin.

— Vendez-les tout de suite, vos rizières !

Le jeune homme esquissa une moue... Il préférait évidemment sa terre à sa cousine.