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Adolescens et adultes, nobles, hovas, esclaves, tous mettent leur coquetterie à se draper dans cet oripeau national, dont ils courbent les plis, relèvent les bords, rejettent les pans avec une grâce savante.

Les tissus, les couleurs, les dessins varient à l’infini... d’Amérique, d’Angleterre, de France et d’Allemagne affluent les cotonnades, les lainages et les soieries... mais l’industrie indigène conserve une prérogative sacrée : la fabrication des linceuls, l’unique travail auquel les gens d’Emyrne apportent une préoccupation artistique. Ces lambas de morts sont fort beaux; le nombre et la richesse en sont proportionnés à l’importance du défunt. La pièce de soie malgache, imperméable, de couleur cachou, se recouvre parfois d’étoffes précieuses en quantité telle qu’il faut vingt hommes pour porter en terre un cadavre ainsi paré.

Le lamba jeté sur l’épaule, Boutou explore sa nouvelle demeure.

— C’est si joli, la maison du vazaha!...

Ce qu’il admire, c’est une de ces villas à l’usage des Européens que les Malgaches bâtissent en brique ou en pisé. Constructions de pacotille, en réalité, où tous les détails trahissent l’inexpérience de l’ouvrier... Le travail de menuiserie n’est pas sans de regrettables négligences, et il règne une aimable fantaisie dans les dimensions des fenêtres et des portes. Inspecter fréquemment sa toiture est d’une bonne économie, du moins à l’approche de la saison pluvieuse, car, si quelque tuile a cédé, c’est par paquets que l’eau pénètre à l’intérieur... les plafonds s’écroulent en abominables gâchis de boue rougeâtre...

Était-il étonnant que l’admiration de Boutou fût provoquée au plus haut point? Nous-mêmes, après six nuits passées sous des cases de paillotte, nous avions levé les bras d’enthousiasme, à l’aspect coquet et séduisant de ces habitations ceintes d’élégantes vérandahs, entourées de balcons suspendus.

Au jardin, l’enfant restait en longues contemplations devant la volière, pleine pour lui d’un perpétuel divertissement. Les perruches et les cardinaux jacassaient sur le bambou supérieur; au-dessous roucoulaient ces tourtereaux à queue écarlate que les indigènes appellent « mangeurs de bananes ». Au niveau du sol, des cailles blotties dans les coins; des sarcelles et de grosses poules d’eau à crête rouge, accroupies dans un bassin de zinc, taquinées, volées, battues par un merle noir-blanc-jaune, qui bégayait quelques mots de malgache et m’appelait Vazaha, lui aussi. Cet oiseau parlait, et les autres chantaient à la gloire de l’éminent naturaliste qui les portraictura en si vives couleurs sur les planches de ses albums ; tous voulaient porter le nom de ce