Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Sont-ils baptisés, au moins, tes petits?

— Pas encore, monpera. Ils sont déjà circoncis, mais n’ont pas commencé leurs classes... Je ne sais s’il faut les envoyer chez les Français, les Anglais ou les Norvégiens...

Je résolus sur-le-champ cette question, mais il restait à régler celle du baptême.

— Pour Faralahy, pas de difficultés, dit le missionnaire, nous le baptiserons quand vous voudrez. Mais Boutou, si je me le rappelle, a certainement atteint l’âge de raison. Il devra suivre notre enseignement deux années de suite avant de devenir chrétien. Or notre mission n’a pas de poste à Souanirane, et je ne dirige, à Mahamasine, qu’un simple externat de garçons.

— Boutou ne pourra donc fréquenter votre école que s’il demeure chez moi?

Le religieux avait fait avant moi cette hypothèse.

— Vous nous recrutez des prosélytes, répondit-il, c’est bien; vous les logez chez vous, c’est encore mieux... Faites donc, et que Dieu vous récompense.

La livraison des deux petites âmes eut lieu sans retard. Jamais rapprochement de types plus dissemblables ne montra mieux de quel singulier mélange de races est issue la population de l’Emyrne.

Boutou aurait pu passer pour un enfant d’Europe ou d’Asie. A voir ce teint à peine cuivré, ces cheveux lisses, cette tête ronde, ce nez mince et légèrement retroussé, cette physionomie ouverte, illuminée d’un regard très droit, on pouvait être tenté d’accorder quelque créance à la théorie contestable qui assigne aux Hovas une origine malaise.

Faralahy, mon petit dernier, était noir comme l’ébène. Sous une épaisse enveloppe de cheveux crépus, son crâne s’allongeait, fuyait, se renflait : spécimen authentique qu’on déposera quelque jour avec honneur dans un musée d’anthropologie, vitrine des Dolichocéphales. Ses yeux énormes, sans expression, ne brillaient dans son visage que par un contraste de couleurs. Un vrai Sakalave, celui-là... la chair même, la rude anatomie, le pigment brûlé des pillards sauvages qui battent librement la brousse du Bouine et du Menabé...

— Bonjour, vazaha! me dit Boutou, rassuré par la présence de Madeleine, et curieux évidemment d’examiner de près un homme blanc... Faralahy, effarouché se cachait dans la jupe de sa mère.

— On ne dit pas « bonjour, vazaha! » Boutou-Kely[1], reprit Euphrasie, on dit « bonjour, monpera. »

  1. Boutou-Kely : petit Boutou.