Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suffit, et le reste n’importe. La « science, » qui n’est infaillible, malheureusement, ni dans l’observation des faits, ni dans l’interprétation qu’elle en donne, l’est sans doute encore moins dans l’affirmation des conséquences qu’elle en tire. C’est même pourquoi ses titres sont nuls, absolument nuls, à parler de morale ou de métaphysique ; — et l’exemple d’assez grands savans l’a prouvé, si je ne me trompe.

Mais, d’un autre côté, ce que l’on pourra dire, et ce que j’avoue moi-même, c’est que la Descendance de l’homme de Darwin, ou l’Histoire naturelle de la Création du professeur Hæckel, ne sont, de leur vrai nom, que des romans scientifiques. Il n’est pas « prouvé » que les espèces animales varient, ni surtout qu’elles se transforment ; il n’est pas « prouvé » que la « concurrence vitale » ou la « sélection naturelle » soient autre chose que de grands mots ; » et il n’est pas « prouvé » que l’homme descende de l’animal. M. Russel Wallace, nous l’avons dit, a toujours soutenu le contraire ; et, tout en affirmant que les choses étaient comme si nous descendions du singe, il a continué d’enseigner que nous n’en descendions point. Dans ces conditions qu’est-ce donc que la doctrine évolutive ? C’est une simple hypothèse, ou, pour mieux dire, c’est une méthode. C’est un moyen de classer ou de rassembler sous un seul point de vue des faits ou des idées qui nous échapperaient autrement et qui se moqueraient, pour ainsi parler, de la faiblesse de nos prises. C’est un moyen de faire de la clarté. C’est un moyen de pénétrer plus profondément dans la connaissance de ces faits eux-mêmes et d’en découvrir de nouveaux. Ce qu’une méthode est encore, c’est une discipline pour l’esprit, qui crée naturellement une habitude générale, une certaine manière nouvelle de penser. Et, en ce sens, avec un peu d’exagération, Huxley a pu dire que, « pour quiconque étudiait les signes des temps, l’apparition de la doctrine évolutionniste était… l’événement le plus prodigieux du XIXe siècle. » Comme l’avait fait avant elle la méthode comparative, ainsi, la méthode évolutive ou « généalogique, » a renouvelé la face de la science[1]. Un autre a dit, — et ce devait être le fougueux Haeckel, — que « l’on apprécierait désormais l’intelligence des hommes selon la facilité plus ou moins grande avec laquelle ils accepteraient la doctrine évolutive ; » et sous cette forme la phrase a quelque chose en vérité de plus ridicule encore qu’impertinent. Mais il n’en est pas moins certain que,

  1. « Si grand que soit l’intérêt qui s’attache à l’histoire biologique isolée des êtres vivans, a dit M. Francis M. Balfour, cet intérêt a été décuplé par les généralisations de Darwin. » On en pourrait dire autant des études relatives à la paléontologie.