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organisée. Mais il n’avait pas non plus complètement tort, en ce sens qu’il raisonnait d’une manière tout à fait « analogue » à la science de son temps. La science du nôtre a en partie éclairci le mystère. Il lui a suffi pour cela de le transposer de l’ordre théologique ou métaphysique dans l’ordre physiologique. Et ce que Pascal déclarait « inconcevable » ou « incompréhensible », la théorie de la descendance en a fondé la recevabilité sur la base même de l’histoire naturelle[1].

Que d’ailleurs l’exégèse orthodoxe, — je dis protestante ou catholique, — ne se reconnaisse pas dans cette interprétation du dogme, c’est pour le moment ce que nous n’avons pas à rechercher. Nous ne faisons ici qu’indiquer un moyen, une « possibilité » d’entente entre le dogme et la science. L’abbé de Broglie écrivait, voilà deux ou trois ans : « Ni l’apparition successive des types, ni leur enchaînement ne sont en opposition avec l’enseignement de l’Eglise. Bien plus, le transformisme lui-même, sous la forme que lui a donnée Darwin, a droit de cité dans les écoles catholiques[2]. » Et longtemps avant l’abbé de Broglie, — dans un essai bien connu sur les Limites de la sélection naturelle, — le naturaliste Russel Wallace déclarait expressément que les forces qui peuvent rendre compte de la transformation des espèces étaient incapables d’expliquer le passage de l’animal à l’homme. C’est ce qu’il redisait encore, en 1889, dans son livre sur le Darwinisme[3]. Mais comme cela ne l’empêchait point de soutenir toujours « la théorie de la descendance, » et même de la fortifier ou de la développer par de nouveaux argumens, c’est tout ce que nous avons ici besoin de retenir. Pour la science contemporaine, l’abîme où « le nœud de notre condition, selon le mot de Pascal, prend ses replis et ses tours, » c’est la complexité de notre arbre généalogique. Ou, en d’autres termes encore, un dogme qui n’avait autrefois de valeur, ou de signification que pour le croyant, en a pris

  1. Voyez sur ce sujet du péché originel : Bossuet, Élévations sur les mystères, VIIe semaine, en particulier la cinquième et la septième élévations ; et Lamennais, Essai sur l’indifférence, t. III, ch. XXVII.
  2. L’abbé de Broglie : le Passé et le Présent du catholicisme en France, 1 vol. in-18; Paris, 1892, Plon, p. 113.
  3. Alfred Russel Wallace, la Sélection naturelle, trad. de M. de Candolle, 1 vol. in-8o; Paris, 1872, Reinwald, p. 348-391.
    Voyez encore p. 403 : « Si M. Darwin n’est pas anti-darwiniste quand il admet que peut-être les animaux et les plantes n’ont pas eu d’ancêtre commun... je ne le suis pas davantage moi-même quand je fais voir que chez l’homme certains phénomènes ne peuvent être complètement expliqués par la sélection naturelle, et semblent dès lors indiquer l’existence de quelque loi supérieure. »
    Et comparez enfin le quinzième chapitre du Darwinisme, traduction de M. H. de Varigny; Paris, 1891, Lecrosnier et Babé. Ce volume fait partie de la Bibliothèque évolutionniste.