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de tant de Français : pour être plus démonstrative que celle des peuples du Nord, la foi espagnole n’en est pas moins ici très éclairée. Il est parfaitement ridicule de prétendre que, parce qu’ils habillent de riches vêtemens leurs saints et leurs madones, les Espagnols ignorent qu’une statue n’est qu’un symbole. Ils chantent leur foi ; vous murmurez la vôtre : mais les mots ont le même sens et les esprits la même pensée. Partout ailleurs, je ne dis pas, monsieur, qu’on ne rencontre des villes, des villages, des coins de campagne pénétrés d’un christianisme semblable, ni surtout qu’il n’y ait, en grand nombre, des exemples individuels de haute vertu, de dévouement, d’héroïsme même si vous voulez. Mais la pratique religieuse a diminué, et, avec elle, le niveau des mœurs. Les causes en sont nombreuses. Vous en devinez plusieurs : révolutions, propagande rationaliste, abandon des provinces par tant de familles d’un rang supérieur, qui incarnaient la tradition et la maintenaient autour d’elles. Cependant, pour qui voit juste, il est impossible de nier que l’insuffisance du clergé de paroisse ne soit aussi l’une des causes de cet affaiblissement. Je ne parle pas des exceptions, je parle de la masse, et je dis que l’admission parfois trop facile des candidats au sacerdoce ; une préparation hâtive, tout au moins dans ce que nous appelons la carrera brève; le relâchement de l’autorité épiscopale, rendu presque fatal par la difficulté des communications dans certaines parties du royaume et par l’inamovibilité des bénéfices ; l’abandon de ce prêtre à lui-même pendant de longues années, abandon si complet que, jusqu’en 1870, la plupart des diocèses ignoraient l’usage des retraites ecclésiastiques, ont produit un clergé souvent médiocre. Ce qu’on peut lui reprocher, plus encore que l’immoralité, qui demeure, en somme, exceptionnelle, c’est le manque de zèle, l’inertie, la routine, auxquels font si fréquemment allusion les chansons populaires improvisées dans les fêtes et en présence même du curé. La décadence de la pratique religieuse en Espagne est en grande partie venue de là. Elle est manifeste surtout en Andalousie. Je pourrais vous citer telle ville de 60 000 âmes où le nombre des communions pascales ne dépasse pas quelques centaines. Et, si vous étudiez de près le peuple de Séville, par exemple, vous constaterez que, dans ces vastes cités ouvrières occupées par d’innombrables familles, plus de la moitié des unions sont libres; vous observerez, non pas une hostilité contre l’Eglise, car ces gens-là sont les premiers à prendre part aux processions, mais une ignorance presque totale des préceptes de morale et de discipline chrétienne. La merveille, c’est que la foi ait survécu à cet oubli de ses œuvres. Elle était si profonde et si forte dans