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faisais l’aumône en l’écoutant. Elle partait du clocheton d’une église enchâssée entre deux maisons, et dont la façade médiocre se distinguait seulement des voisines par un fronton roulé à ses extrémités. J’entrai en soulevant la portière de cuir mou. L’intérieur était complètement dans l’obscurité. Quelqu’un remuait du côté du chœur, tout au fond. Une étincelle brilla, perdue dans cette masse d’ombre, décrivit un zigzag en montant, et se fixa, rougeâtre, à six pieds du sol. Le bruit se rapprocha. Une seconde étincelle, plus près de moi, étoila le mur, et fit luire, vaguement, une surface dorée. Je compris que le sacristain allumait une veilleuse devant chacun des autels, et, quand il eut dix fois répété l’opération, une voix, au bout de l’église, commença la prière du soir. Dans les ténèbres, devenues maintenant comme de grands plis de deuil tendus d’une arcade à l’autre et relevés d’un clou d’or, je distinguai la forme agenouillée de deux hommes, deux mendians enveloppés de leurs manteaux élargis. Ils avaient seuls obéi à l’appel de la cloche, ils venaient seuls prier avec le prêtre, invisible là-bas, en cette fin de jour lugubre. Cet abandon me fit songer à ce que m’avaient dit, de la situation religieuse en Espagne, des personnes absolument sûres et d’une entière compétence. Je me souvins de ces conversations que j’avais eues, en différens points du royaume, et qui variaient quelque peu dans la forme, mais qui s’accordaient au fond, et pouvaient se résumer ainsi :

— Nous bénéficions, monsieur, d’une antique réputation, qui ne correspond plus, malheureusement, à la réalité. Je sais combien nos compatriotes tiennent à l’honneur de garder à leur pays sa renommée de royaume très chrétien, mais je vous dois la vérité, puisque vous la demandez. Or, les différentes provinces sont bien loin d’offrir, chez nous, la même physionomie religieuse. Il y en a qui sont demeurées très fidèles, et d’autres dont on pourrait affirmer qu’elles n’ont conservé de la religion que le goût des cérémonies extérieures et une sorte de foi sans pratique. Remarquez que ces dernières se doutent à peine, — je parle du peuple, — de l’indifférence où elles sont tombées, et que si vous répétez mes paroles, elles étonneront beaucoup d’Espagnols. Rien de plus vrai, cependant. Tracez une ligne de biais, suivant la direction des Pyrénées, et enfermant les provinces basques, la Navarre, une partie de la Vieille-Castille, l’Aragon, la Catalogne : vous avez là, telle qu’elle figure dans l’histoire, la vieille Espagne religieuse, la foi vive et pratique, un clergé irréprochable, une piété de cœur reflétée par les mœurs, avec trois villes que je puis appeler trois citadelles catholiques, Vittoria, Burgos et Pampelune. Et n’allez pas commettre, je vous prie, l’erreur