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règlement élaboré, au commencement du XVe siècle, par les principaux de la colonie. « Ils étaient en majorité Bretons, ajouta-t-il, et c’est pourquoi vous avez pu voir un autel dédié à saint Yves. Les traits abondent qui mériteraient d’être connus. Si j’avais le temps ! Mais cette joie-là sera pour un autre. Voulez-vous un petit exemple? La messe de dix heures, qui vient de finir, réunissait comme d’habitude une bonne partie de la colonie française : savez-vous pour qui elle a été dite? — Je ne m’en doute pas. — En 1581, la façade de la chapelle était obstruée par une maison appartenant à un Portugais, nommé Marc Heitor. Ce brave homme donna son logis à l’œuvre française, à la double condition qu’il fut démoli, et qu’une messe fût célébrée chaque dimanche à l’intention du donateur. La tradition n’a pas été interrompue. Voilà comment, ce matin, la messe a été dite pour le vieux Marc Heitor, qui était, de son vivant, cuisinier de Sa Majesté le roi de Portugal. » Et l’histoire ne finit pas là, car la ville, ne voulant pas rester en arrière, s’empressa d’exempter d’impôts, lorsqu’elles ne seraient pas louées, les boutiques construites en bordure de la rue, dans les soubassemens de la maison d’Heitor, et, même aujourd’hui, si le cas se présentait, le vieil acte de générosité de Lisbonne profiterait encore à l’œuvre française.

Enfin je me suis égaré, ce soir, dans une rue en échelle où habitent les marchandes de poisson. Les varinas, la journée finie, assises en rond ou couchées sur le sol, barraient toute la route, leurs jupes rouges, bleues, jaunes, étalées autour d’elles. Des nuées d’enfans en chemise galopaient de l’une à l’autre de ces grosses pivoines formées par le cercle des mères et des sœurs aînées. Pour passer, il fallait faire le tour. Et au-dessus d’elles, dans l’ouverture des toits, en plein ciel, des loques multicolores séchaient au bout d’une perche. Le vent les secouait, le soleil les trouait. Ces pauvres choses, chez nous, n’auraient pas valu un regard, mais le goût du Midi les avait choisies, la lumière les transfigurait, et c’était de la poésie encore, accrochée là-haut, dont la rue s’égayait...

Hélas ! je vais partir tout à l’heure. Il m’en coûte. Est-ce le voyage qui m’effraie ou m’ennuie? Sûrement non, car je vais vers l’Andalousie, que j’ai tant souhaité voir. C’est Lisbonne qui me retient. Et de quoi est fait ce charme dont je me sens lié ? J’ai beau chercher, je ne trouve aucune raison bien forte, mais j’en découvre plusieurs petites, si faibles, si puériles que je suis tenté de rire en les énumérant, et si puissantes ensemble que j’ai envie de pleurer dès que je ne les sépare plus. Bien des tendresses sont ainsi. Quel est donc ce cantique dont une phrase me revient, et