Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/947

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se trouver en face du père, l’ingénieuse Marion sut éloigner l’enfant de la bataille impie. Le père ayant été pris, l’héroïque Marion le fit évader de sa main, et sans doute elle eût payé ce beau trait de sa vie, si l’on n’avait appris, le jour même, la pacification de la Vendée, la fin de la guerre et l’amnistie générale accordée par la Convention. Alors cris de : Vive la République ! Vive la Patrie ! Applaudissemens, enthousiasme, délire, et en voilà, surtout dans le quartier et avec le public de l’Opéra-Comique, en voilà peut-être pour une centaine de représentations.

Benjamin Godard, on l’a rappelé dernièrement, estimait qu’un musicien doit attendre peu de son poète et presque tout de lui-même. En quoi peut-être il n’avait pas aussi grand tort qu’on l’a dit. Nous finissons vraiment par demander trop au librettiste, par exagérer les droits ou les devoirs du drame, de l’action, du mot surtout, au mépris des droits de la musique. En soutenant tous, ou presque tous, que le drame ou la poésie est le but, et la musique le moyen, il n’est pas impossible que nous soutenions, fût-ce avec Wagner, une hérésie ou un blasphème, dangereux aujourd’hui, demain peut-être fatal à la nature, à la vocation et à la dignité de la musique. J’en ai souci quelquefois. Mais sans que la question soit ici tranchée, ou seulement débattue, il faut reconnaître que le musicien n’a pas besoin d’un chef-d’œuvre pour faire son chef-d’œuvre à lui. Oui, à lui, bien à lui, car, en ce genre de l’opéra ou du drame lyrique (le nom ne fait rien à l’affaire), la beauté véritable vient de la musique, et la vraie gloire lui doit retourner. Dans cette mesure-là, Godard avait raison, et de ce livret pas bien méchant, mais pas bien mauvais non plus, de la Vivandière, c’était à la musique de faire quelque chose, et même quelque chose de beau. Par malheur, elle n’en a rien fait, ou presque rien : peut-être un peu plus qu’une opérette comme la Fille du tambour-major, mais beaucoup moins qu’un opéra-comique comme la Fille du régiment.

Du sujet, ni l’extérieur ou la figure, ni le fond n’est rendu. Cette musique est à peine militaire, ou du moins elle ne l’est qu’à la manière de l’imagerie d’Épinal ou de la chromolithographie. Le second acte, par exemple, a beau rassembler tous les épisodes de la vie des camps : ralliement, exercice, parade, lecture de l’ordre du jour, voire du tableau d’avancement, tout cela, sauf un récit de charge, entraînant par le rythme et la sonorité redoublée, tout cela ne parle qu’aux yeux ; de tout cela toute substance musicale est absente ; rien n’est représenté par les sons, de la condition d’abord ou du métier de soldat. Quant à l’âme du soldat, l’âme de la guerre, et de quel soldat ici et de quelle guerre ! pas une fois on ne la sent palpiter et vivre. C’est elle cependant qui partout devait chanter. Elle devait chanter, héroïque, sur les lèvres noires de poudre des Mayençais en haillons ; héroïque encore, mais plus cordiale et attendrie, elle devait chanter dans le sanglot comme dans l’éclat de rire de la brave Marion ; et quand, au