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Je crois les Hellènes trop intelligens pour ne pas comprendre l’intérêt capital qu’ils ont à se faire relever de leur faillite par un accord avec leurs créanciers et par l’exécution loyale de cet arrangement. Intérêt matériel d’abord : il est évident que tant qu’ils resteront à l’état de faillis non réhabilités, ils ne trouveront pas un sou sur n’importe quel marché européen. A défaut d’un blocus militaire, qu’ils éviteront probablement, on organisera contre eux un blocus financier. Mais si l’intérêt matériel est grand, l’intérêt moral est bien plus considérable encore. La faillite a frappé la Grèce dans ce qu’elle a de plus précieux ; elle a porté un coup, et le plus sensible de tous, à ce qu’on appelle l’hellénisme, à cet ensemble d’aspirations plus ou moins confuses que le patriotisme des Grecs se plaisait à caresser. L’hellénisme, c’était l’expansion de la Grèce, non pas seulement par des annexions matérielles, mais par le rayonnement intellectuel, économique et commercial, dont Athènes était le centre et dont les effets se faisaient sentir partout où la race grecque a des représentans, à Constantinople comme à Trieste, à Marseille comme à Londres. Or l’hellénisme, depuis quelques années, est en baisse. Il a trouvé dans le slavisme un concurrent dangereux. Il a subi des échecs. Mais le coup le plus redoutable qu’il ait reçu est certainement la faillite de 1893. Il y a là une humiliation nationale qui a été vivement ressentie par tous les Hellènes, aussi bien hétérochtones qu’autochtones, une humiliation qui atteint l’autorité morale de la Grèce, une humiliation plus pénible et plus compromettante que celle même de subir le contrôle d’une commission financière venue de l’étranger. Avec la faillite, point de revanche pour la Grèce des échecs moraux qu’elle a subis ; point d’avenir pour l’hellénisme. Ce serait la déchéance acceptée, ce serait la renonciation de la Grèce à la situation privilégiée qu’elle rêvait en Orient.

La dette en or représente un capital nominal de 560 millions, et la dette en papier 160 millions. C’est un total de 720 millions dont le service, avant la faillite, représentait une charge annuelle de 35 millions. Ce chiffre serait lourd par lui-même : il l’est devenu bien davantage par suite de la crise du change. En ce moment, le change est encore au-dessus de 180 francs, après avoir atteint 200 francs pendant les derniers temps du ministère Tricoupi. Par conséquent, chaque fois que le gouvernement hellénique paie 100 francs en or à ses créanciers étrangers, il faut qu’il touche au moins 180 drachmes à l’intérieur. Il faut majorer dans cette proportion toute la partie de l’annuité applicable au service des 550 millions de la dette en or.

Le relèvement du crédit hellénique et la réhabilitation