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conquise par son tact, par sa prudence, par l’habileté avec laquelle il a manœuvré au milieu des crises si fréquentes dans ce pays. Aussi, dans la situation actuelle, tout le monde s’est tourné vers lui.

En Grèce, par conséquent, on ne reproche pas au roi Georges d’abuser de la dictature morale qui lui a été conférée ; on lui reprocherait plutôt de n’en pas user assez largement. Le dégoût des partis, le sentiment de leur impuissance pour le bien, de leur toute-puissance pour le mal, est arrivé à un point tel que beaucoup de patriotes désespèrent de voir le pays sauvé par les combinaisons parlementaires et les moyens constitutionnels. Tout le monde reconnaît les défauts d’une constitution qui établit le despotisme d’une Chambre unique et sans contrepoids. Le droit de révision est inscrit dans la constitution, niais, pour qu’il puisse s’exercer, pour qu’une assemblée nationale soit convoquée, il faut que la révision soit demandée par deux votes successifs de la Chambre des députés, émis à une majorité des trois quarts des voix. Comment croire que la Chambre demande avec cette quasi-unanimité une mesure dirigée uniquement contre elle et destinée à lui enlever la plus grande partie de ses pouvoirs ? Aussi entend-on de tous les côtés, en ce moment, des réflexions comme celle-ci, qui est d’un tricoupiste, c’est-à-dire d’un opposant : « Du moment que le roi a pris sur lui de faire ce qu’il a fait, il aurait dû aller plus loin ; ce n’était pas la peine d’engager sa responsabilité pour si peu. Il aurait pu suspendre les garanties constitutionnelles pour cinq ans et se donner ce temps pour remettre l’ordre dans les finances, dans l’administration, dans l’année. » Ce ne sont là, il est vrai, que des conversations privées, qui n’engagent à rien. Ceux qui tiennent ce langage resteraient peut-être tranquillement chez eux, si le roi, prenant l’initiative hardie qui lui est conseillée, avait besoin de leur concours.

Il y a cependant un homme considérable qui n’a pas craint de s’engager publiquement en faveur de la politique dont il s’agit et qui s’est déclaré prêt à en prendre la responsabilité, le cas échéant, comme ministre et comme conseiller de la couronne. L’amiral Canaris est le fils de l’héroïque marin qui a pris part à la guerre de l’Indépendance. Il a soixante ans passés ; mais il n’a rien perdu de sa vigueur physique et morale. Il est contre-amiral et inspecteur de la flotte. Son nom est illustre : sa personne est respectée. Il a été ministre et député. Appelé des premiers par le roi Georges au lendemain des événemens du Champ-de-Mars, il a exposé un programme que tout le monde connaît aujourd’hui en Grèce, puisqu’il l’a résumé lui-même dans une conversation avec un journaliste, conversation qui a eu, d’un bout à l’autre du royaume, un grand retentissement :