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IV

Nous sommes arrivé au bout de notre tâche. Nous avons rappelé nos origines. D’un rapide coup d’œil, nous avons embrassé dans son ensemble cette vie de l’École dont la durée dépasse déjà celle des plus longues vies humaines. Nous avons enfin essayé de définir l’esprit même de l’Ecole, les maximes et les traditions qui s’y conservent pendant que les personnes changent et qui forment le lien de toutes les promotions par lesquelles va lui être rendu un solennel hommage. On nous pardonnera si, dans cet essai, nous avons plus souvent parlé de la section des lettres que de la section des sciences. Ce n’est certes pas que celle-ci nous soit moins chère et qu’elle nous ait fait moins honneur. M. Pasteur est notre première, notre plus illustre gloire, et, si l’on consulte ces tables de marbre où sont inscrits en lettres d’or les noms des soixante-dix-huit anciens élèves de l’Ecole qui sont entrés à l’Institut, les membres de l’Académie des sciences n’y sont pas, toute proportion gardée, en nombre moindre que ceux des trois autres académies auxquelles nous fournissons des recrues. Je n’ai eu qu’une raison pour emprunter ainsi mes exemples, de préférence, à l’histoire de la section des lettres : c’est que je la connais mieux, pour y avoir été élève et professeur.

On ne s’étonnera pas non plus que je n’aie pas cherché ici l’occasion de rappeler les noms et l’œuvre de tous ceux des nôtres qui nous ont représentés avec éclat dans les lettres et dans la politique. La liste en serait trop longue ; elle a d’ailleurs été dressée, avec une pieuse diligence, par les rédacteurs des différens essais que renferme notre mémorial. Nos collaborateurs ont suivi les normaliens dans la diversité des chemins où les ont jetés la variété de leur goût et celle des circonstances ; ils nous les ont montrés, les uns, dans les mauvais jours, écartés, par de maladroites rigueurs, d’une carrière où ils auraient voulu borner leurs désirs, les autres, détournés de l’enseignement par l’attrait de Paris, par les impatiences d’un talent qui veut s’émanciper, par une passion sincère et de grandes ambitions. Ceux de nos camarades qui se sont ainsi lancés dans l’imprévu ont souvent réussi d’emblée dans des entreprises et dans des tâches auxquelles ils ne semblaient pas avoir été préparés par leur destination première. Ce succès rapide, nous nous croyons en droit de l’expliquer, pour une part tout au moins, par l’éducation même de l’Ecole, où nos maîtres se sont toujours attachés à former des intelligences capables de réflexion et de critique, des esprits qui ne soient pas