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causeries. Il faut donc à nos élèves, pour se mettre à l’ouvrage, pour se plonger dans une lecture sérieuse ou se livrer à l’effort de la composition, le même effort de volonté que s’ils habitaient, avec d’autres étudians, un hôtel garni du quartier. Cette vertu n’est pas rare ; les laborieux réclament le silence et l’imposent aux bavards.

L’internat, même ainsi coupé par de nombreux congés, même mitigé à ce point, est pourtant une sauvegarde ; il le demeurera toujours, dût sa règle, déjà si légère, être encore allégée dans la suite des temps. Il ne contraint pas au travail ; mais il y invite doucement. Bien peu d’hommes, à vingt ans, ont le vouloir assez tendu pour savoir résister à l’appel d’un beau jour ou à celui d’un camarade qui vient vous demander d’aller avec lui flâner sur la terrasse du Luxembourg ou passer une heure à la brasserie. L’internat serait justifié, n’eût-il que ce mérite de fermer la porte aux fâcheux, de protéger le jeune homme un peu faible, mais de bonne volonté, contre cette sorte de haine sourde, mêlée d’une secrète envie, qui pousse le paresseux à n’avoir point de cesse qu’il n’ait interrompu et arrêté le travail d’autrui.

C’est surtout les candidats refusés à l’Ecole qui en critiquent le régime. Ils protestent contre cette contrainte qu’ils ont aspiré à subir et qui leur a été épargnée. N’y a-t-il pas là quelque inconséquence ? Je ne crois pas, pour ma part, avoir jamais entendu proférer ces mêmes plaintes par aucun élève de l’Ecole, au moins par aucun de ceux qui l’ont traversée depuis qu’en ont disparu les gênes inutiles. C’est un souvenir ému et attendri que m’ont paru en garder les jeunes gens, dont quelques-uns ne sont déjà plus très jeunes, que j’y ai connus soit comme professeur, soit comme directeur. Parmi bien des lettres que j’ai reçues et où se marquait ce sentiment, j’en prends une au hasard, qui m’est arrivée au moment où j’achevais de rédiger ces pages. Elle est d’un jeune philosophe qui, en sortant de l’Ecole, a été passer une année en Allemagne, où les universités et autres établissemens scolaires ont particulièrement attiré son attention. Il en a rapporté des notes de voyage qui sont d’un esprit sans prévention et d’un observateur intelligent ; l’ironie, quand elle s’y marque à quelques traits, y reste toujours fine et légère. L’auteur, qui enseigne maintenant en province, m’offre son livre, et termine ainsi sa lettre d’envoi : « Je pense bien souvent à l’Ecole et j’estime qu’on chercherait bien loin, en Allemagne ou ailleurs, une institution qui exerce sur les siens une influence aussi fortifiante et leur laisse d’aussi bons souvenirs. »