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laissâmes pas de nous demander parfois si nous devions nous féliciter de notre victoire. Les temps étaient durs. Un des maîtres les plus aimés de l’École, M. Berger, venait d’en être éliminé, comme républicain et libre penseur ; on sait avec quel succès il a, depuis lors, fait à la faculté de Paris l’histoire des lettres latines. A la fin de l’année scolaire, plusieurs élèves avaient été exclus, sous des prétextes qui ne supportaient pas l’examen ; au fond, le seul reproche qu’on leur adressât, c’était d’avoir l’esprit trop indépendant. Parmi eux se trouvaient Boiteau, qui est mort maître des requêtes au Conseil d’Etat, et M. Accarias, aujourd’hui conseiller à la Cour île cassation, après avoir été, à Paris, l’un des plus savans professeurs de la faculté de droit.

C’est sous l’impression de ces rigueurs imméritées que nous vînmes, en novembre 1852, nous asseoir dans des salles d’étude qui ne ressemblaient pas aux chambrettes coquettement parées de photographies, d’affiches multicolores et de moulages, où s’installent aujourd’hui, entre amis, par groupes de trois ou quatre, nos élèves des lettres. Les premières semaines ne furent pas pour nous rassurer et nous faire voir la vie en beau. La surveillance était tatillonne et mesquine ; ceux qui en étaient chargés semblaient trouver plaisir à nous prendre en faute. Malgré le mérite de quelques-uns de nos maîtres, l’enseignement, auquel on prêchait la modestie et l’humilité, était languissant, dans la plupart des conférences. « Le professeur ne doit savoir que ce qu’il est appelé à enseigner, cela seul et rien de plus », telle était la maxime de l’administration, qu’elle nous répétait sur tous les tons. Il a été heureux, pour nos futurs élèves, que la plupart d’entre nous aient refusé d’en croire leur directeur sur parole, et que, malgré la théorie officielle, tels ou tels de nos maîtres se soient prêtés sans bruit à nous ouvrir des jours sur la science. Pour nous dédommager de la contrainte que l’on nous imposait, nous avions d’ailleurs la bibliothèque. On nous en disputait l’accès ; on y contrôlait nos lectures et l’on nous déconseillait celles qui étaient, disait-on, de pure curiosité ; maison ne pouvait être toujours penché sur notre épaule. Que d’heures inoubliables j’ai passées, dans cette grande salle dont j’aimais le recueillement et les longues perspectives, à étudier, en feuilletant les livres de voyage et les ouvrages à planches, ces monumens de l’architecture et de la sculpture grecque avec lesquels je comptais faire bientôt plus ample connaissance à Rome et à Athènes ! Dans la première semaine du mois, je me débarrassais de tous mes pensums. J’étais donc toujours en règle, et je pouvais, sans être trop admonesté, donner le reste de mon temps aux recherches dont le