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mort, c’est pour longtemps. » De même que sous la Restauration, peut-être aurait-on mis deux ou trois ans à s’apercevoir qu’il n’était pas aisé de se passer de l’Ecole.

Cette découverte, la fit-on, à la réflexion, avant même d’avoir tenté l’expérience ? D’après certains bruits, l’affaire aurait manqué par la faute même de ceux qui semblaient les plus intéressés à la disparition de l’Ecole. Le ministre aurait été retenu plutôt que poussé par les hommes qui, lorsque s’élaborait la loi de 1850, avaient mené la campagne contre l’Université. Mis en demeure de dire s’ils étaient prêts à se charger de pourvoir aux nécessités d’un grand service public, ils se seraient dérobés et auraient demandé du temps. Peut-être aussi, pressenti au sujet des mesures projetées, le directeur, M. Michelle, présenta-t-il des objections qui furent écoutées. Il avait donné assez de gages pour que l’on eût confiance en lui. Or, quels que fussent ses partis pris et ses préjugés, il n’avait pu vivre près de deux ans à l’Ecole sans avoir appris à l’estimer et même à l’aimer. Il l’avait mise à la diète ; de très bonne foi, il se croyait appelé à la soigner, à la guérir de ses maladies mentales, à lui rendre la santé de l’âme, et quel est le médecin qui ne s’attache pas à son malade ?

Quoi qu’il en soit, le projet dont témoignent ces deux curieuses pièces n’eut pas de suite. On conserva l’Ecole, presque contre sa propre attente, et l’on se contenta de l’amoindrir et de rabattre son orgueil, par le décret du 10 avril, par les arrêtés du 14 avril et du 27 juillet, par le règlement du 15 septembre. Rien de plus étroit et de plus énervant que le régime établi par cet ensemble de prescriptions. Imposée à grand renfort de consignes, une discipline monacale pesait sur la maison, pour y éteindre, autant que possible, la gaieté de la jeunesse ; mais cette gêne n’était rien en comparaison de celle qui résultait de la prétendue réforme des études. L’examen de licence était rejeté au terme de la seconde année. Dans la troisième année, plus de but prochain, qui provoquât et soutint l’effort ; on ne pouvait prendre très au sérieux l’examen de sortie, qui devait être subi devant une commission d’inspecteurs généraux. Quant à l’agrégation, nul ne serait admis à s’y présenter que trois ans après avoir quitté l’Ecole ; et ce concours même, qui était renvoyé si loin, perdait tout intérêt par la suppression des spécialités : il n’y avait plus qu’une agrégation pour les lettres ut une pour les sciences, les agrégations omnibus, comme on disait en plaisantant. Si encore on avait été encouragé à profiter de ces loisirs forcés pour entreprendre, à l’aide des ressources de la bibliothèque, des recherches personnelles et pour jeter ainsi les fondemens de ses travaux futurs !