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qui s’étaient disputé et partagé l’enseignement, où presque rien n’avait pénétré de leurs découvertes et des méthodes qui les y avaient conduits ; c’était aux Académies qu’ils réservaient la primeur de leurs inventions. Ces Académies, la République les a fermées. Elle arrache les savans à leur retraite et à leurs cercles choisis ; mais elle les dédommage en les intéressant et les mêlant au puissant effort de la défense du territoire. En même temps, elle demande à leur patriotisme encore un autre service ; elle les invite à se charger de répandre eux-mêmes dans le pays, par la parole publique, ces hautes connaissances qui doivent aboutir à tant d’applications pratiques et utiles. Tous répondent à cet appel et s’essayent, non peut-être sans quelque embarras, à cette tâche où ils étaient novices. Les élèves de l’Ecole normale ont eu ainsi la rare fortune que les anciennes et les nouvelles sciences, les sciences abstraites et les sciences de la nature, leur fussent enseignées par les hommes mêmes qui, dans le dernier quart du siècle, avaient si fort élargi le domaine des unes et des autres, par Lagrange, Monge et Laplace, Haüy, Berthollet et Daubenton.

Sans doute, l’étude des classiques, la philosophie et même, dans une faible mesure, l’histoire, avaient, depuis plus ou moins longtemps, droit de cité dans les salles de cours ; mais elles ne s’y présentaient pas sous la forme et avec les allures qu’elles prirent dans les séances de l’Ecole. C’était quelque chose de tout à fait inusité que la morale enseignée ou plutôt prêchée par Bernardin de Saint-Pierre, que l’analyse de Condillac préconisée par Garat comme la méthode universelle, dont le triomphe marquerait, pour la pensée, le commencement d’une ère nouvelle, que les règles de la critique historique exposées par Volney, que Démosthène et Cicéron commentés par La Harpe en vue de former à l’éloquence les citoyens d’un État libre. L’enseignement tout formel et traditionnel de la faculté des Arts ne s’était jamais risqué sur ce terrain. S’il y avait été fait quelques incursions, ce n’était que dans cette sorte d’enseignement supérieur libre qui s’était fondé à Paris, peu de temps avant la réunion des États généraux, dans ce que l’on nomma le Lycée et plus tard l’Athénée, où Garat et La Harpe avaient parlé, avec beaucoup de succès, devant un public de choix. En 1795, c’est l’État lui-même qui institue, dans l’amphithéâtre du Muséum, des cours où des maîtres, pénétrés des idées du siècle, s’appliquent à reprendre par la base l’éducation des intelligences. C’est à ce titre que l’on put alors saluer en eux « les restaurateurs de l’esprit humain ». L’expression a cette emphase qui caractérise la langue du temps ; mais elle n’en a pas moins été inspirée par un juste sentiment