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ne tenaient dans les programmes de son enseignement qu’une place très restreinte ; les sciences naturelles n’y brillaient que par leur absence. Dans l’ordre même des lettres, l’histoire n’était pas représentée. Point de philologie sérieuse ; la grammaire n’était qu’une affaire de mémoire. Quant aux auteurs anciens, on les lisait et on les pratiquait assez à fond, surtout les Latins, mais sans songer à s’en servir pour se former quelque idée de la vie des peuples de l’antiquité, sans s’élever à aucune vue d’ensemble. L’amplification latine était de tous les exercices le plus en honneur ; y réussir était la suprême ambition des gradués. Ce n’était d’ailleurs pas la philosophie des docteurs de Sorbonne qui aurait pu provoquer la pensée à l’effort personnel. Professé en latin, le cours n’était qu’une dictée ; le principal bénéfice que l’on en tirait, c’était d’avoir des cahiers où étaient fournies toutes les solutions, où toutes les objections étaient classées et péremptoirement réfutées.

A lire les règlemens qui furent élaborés pour le pensionnat normal de 1808, celui-ci ne semblait pas appelé à une vie intellectuelle plus intense et à un avenir plus brillant que son devancier de 1770. Comme celui-ci, il n’avait pas de maîtres qui lui appartinssent en propre, chargés de donner à ses élèves un enseignement particulier, dont les méthodes et le ton fussent calculés pour les rendre aptes à remplir le mieux possible, plus tard, leur fonction spéciale. L’Ecole n’était, dans le plan de son fondateur, qu’une annexe de la Faculté des lettres et de la Faculté des sciences. L’Université impériale ne paraissait guère promettre à ses boursiers, au prix de la réclusion sévère qu’elle leur imposait, que des avantages matériels, l’exemption du service militaire, le vivre et le couvert assurés pour deux ou trois ans. Cependant, à peine les premiers jeunes gens qui, en 1810, furent appelés à bénéficier de ces faveurs s’étaient-ils installés sous les combles du lycée Louis-le-Grand que déjà se manifestaient chez eux, avec une rapidité singulière, l’ardeur de la recherche désintéressée et la liberté de penser ; le même esprit animait les promotions suivantes. On sait combien ces promotions de l’âge héroïque ont donné à la France de maîtres éminens, de savans distingués, de critiques, d’historiens et de philosophes célèbres. Pour que la nouvelle école ait porté si vite de tels fruits, pour qu’elle ait pu, sans jamais rompre sa tradition, s’accroître et grandir par voie de développement organique, il faut que le régime auquel la soumit sa charte de fondation ait, malgré son apparente étroitesse, posé, en matière de pédagogie, des principes vraiment libéraux et féconds.