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grand-père. La famille de Johns Hopkins était arrivée dans le Maryland avec les premiers colons ; durant plusieurs générations, elle appartint à cette société des Amis dont la réputation d’intégrité est encore si solide, qu’il suffit pour faire la meilleure des réclames à un produit quelconque de mettre le nom de Quakers sur l’étiquette : Quaker oats, avoine quaker, etc.

Le jeune garçon qui, sans argent, vint d’Annapolis, sa ville natale, à Baltimore, pour commencer le commerce au dernier échelon, pratiquait, entre autres vertus de sa secte, l’économie, si rare presque partout aux États-Unis. Il ne s’enrichit point par ces spéculations vertigineuses qui sont la source de tant de colossales fortunes, mais petit à petit, sans rien livrer à l’aventure. Le négociant en denrées coloniales dut accepter ensuite de grosses responsabilités, il fut président de la Banque nationale des marchands, directeur de la Compagnie du chemin de fer de Baltimore-Ohio ; comme capitaliste, il s’intéressa à de nombreuses entreprises financières ; mais jamais il n’entra dans la vie politique, jamais il ne se mit en avant pour les sociétés d’éducation et de bienfaisance, tout en contribuant à les soutenir avec une générosité dépourvue de faste. Aux momens de panique commerciale, il prêtait volontiers l’appui de son crédit, et préserva ainsi de la ruine plus d’une société, plus d’un individu, toujours sans bruit, sans ostentation ; de même il exerçait chez lui une hospitalité simple et large et rassemblait tranquillement de beaux livres. Lorsque à 79 ans il mourut, célibataire, on apprit qu’il laissait trois millions et demi de dollars pour chacune des deux institutions qui sont aujourd’hui la gloire de Baltimore : l’Université et l’Hôpital.

J’ai eu le privilège d’être guidée à travers l’hôpital par le docteur Hurd, son surintendant, et il m’est resté de cette longue excursion dans les diverses avenues de la souffrance un sentiment de respect pour tout ce que les progrès sans cesse croissans de la science, de concert avec l’éternelle pitié, de plus en plus affinée, de plus en plus éclairée surtout, font au profit de notre douloureuse humanité. Conduite du dispensaire aux laboratoires, aux amphithéâtres d’autopsie et d’anatomie, jusque dans les chambres de désinfection, où des jeunes filles vêtues de toile blanche des pieds à la tête, souliers compris, s’acquittaient de leur minutieuse besogne, j’ai été présentée à une étudiante de l’université, qui, ceinte du tablier de rigueur, faisait de la bactériologie, côte à côte avec ses condisciples masculins. Dans les différentes salles occupées par les malades, j’ai serré la main aux infirmières, graduées presque toutes et charmantes sous le petit