Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/833

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

révolte. Le tenir à l’écart de la tribu ou le laisser y retourner, c’est, selon le parti qu’on prendra, une affaire de vie ou de mort pour l’Indien. Cruauté, dites-vous, cruauté envers les parens ? Bah ! je voudrais savoir s’il existe une famille blanche de quelque valeur dont les membres ne soient pas dispersés. Les vieux s’opposent… eh oui ! sans doute ! Croyez-vous que les parens irlandais ne s’opposent pas aussi très souvent à ce que leurs garçons émigrent, et, cependant, Dieu sait que les Irlandais ne sont que trop nombreux chez nous ! Favoriser le développement de l’individualité et rompre les masses, voilà le bon système américain, et il convient à tous aussi bien qu’aux Indiens, qui ne sont pas des gens à part. Les 35 000 Italiens agglomérés dans Philadelphie donnent de la tablature, et si nous permettions à tous les Allemands qui nous arrivent de se rassembler dans le Wisconsin, nous aurions vite créé une Allemagne en Amérique ; ne perpétuons pas ce problème, ne transformons pas en nations hostiles les tribus qui s’effacent.

On voit que le capitaine Pratt a plus qu’une ressemblance physique avec Napoléon. C’est un politique habile, et il exprime a merveille ce qu’il conçoit très nettement. On en a chaque année la preuve à la conférence du lac Mohonk, où s’agitent les questions indiennes.

Tout en causant, nous visitons les boutiques et les ateliers. J’y vois fabriquer de la ferblanterie, des souliers, des harnais ; la bourrellerie est une spécialité des Indiens ; tout ce qui touche au cheval les intéresse, et le gouvernement fait ses commandes à Carlisle ; ils sont aussi très bons forgerons et charpentiers. Tout le pain consommé est pétri et cuit par eux à la boulangerie de l’école. Ils s’occupent de la laiterie, du jardin, travaillent à la ferme avec zèle. Les filles, dans leurs ateliers spéciaux, s’adonnent au blanchissage, à la lingerie, à la couture ; elles font elles-mêmes leurs robes d’uniforme en laine bleue et sont autorisées à les garnir comme bon leur semble ; dès qu’elles y mettent du goût et tiennent compte de la mode, on peut être sûr que l’œuvre de civilisation est accomplie. Le proverbe connu doit être modifié ainsi pour les Indiennes : « Dis-moi comment tu t’habilles, je te dirai qui tu es ! » Les élèves tailleurs et couturières fabriquent tous les vêtemens dont l’école a besoin.

Les quartiers respectifs des étudians des deux sexes sont absolument séparés, cela va sans dire. Les petits me semblent logés dans des conditions de confort toutes spéciales. Une dame dirige leur home avec la plus maternelle sollicitude. Le joli appartement qu’elle occupe au milieu d’eux doit leur apprendre de bonne heure