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petites masses séparées, isolées, sans autre lien qu’une direction supérieure commune et un but commun, mouvement que nous avons vu naître en 1866, acheva, après 1870, d’entraîner et de dominer les esprits. Après Metz et Sedan, après le Mans et Héricourt il parut de toute évidence que la tactique qui avait rendu de pareils triomphes possibles possédait une écrasante supériorité. L’éclat du triomphe on masquait trop les côtés faibles et les défectuosités ; les meilleurs esprits s’abandonnèrent sans réserve au courant qui les emportait. Il fallut de longues années de paix, de réflexion, d’essais pratiques pour qu’on osât penser d’abord, dire ensuite que les procédés tactiques suivis par les armées allemandes en 1870 présentaient de sérieux dangers et qu’il importait de réagir contre les exagérations dont les conséquences tirées hâtivement de la campagne de 1870 étaient empreintes. Cette réaction vient d’aboutir à la publication d’un nouveau règlement qui, sous le titre modeste de Règlement du 29 juillet 1884 modifié par décision du 15 avril 1894, consacre une évolution nouvelle de la tactique, évolution dont l’histoire est curieuse, à plus d’un titre.


VI

Avec la guerre de 1870, l’édifice militaire de la France s’était écroulé tout entier. Mais ce ne furent pas seulement la constitution de l’armée et son organisation qui furent mises en cause : tout ce qui constituait le bagage tactique de l’ancienne armée parut devoir être englobé dans le désastre. Principes théoriques ou traditions pratiques, procédés de combat ou méthodes d’instruction, tout semblait frappé du coup qui la frappait elle-même.

A l’étonnant progrès réalisé par les armes à feu, au développement énorme de leur puissance, il paraissait évident qu’il fallait répondre par un renouvellement intégral des méthodes de combat. Depuis l’invention des armes à feu elles-mêmes, aucun fait ne s’était produit qui fût aussi considérable : il ne fallait donc pas s’étonner s’il entraînait des conséquences inattendues, hors de proportion avec les légères modifications qui s’étaient produites en tactique de siècle en siècle.

Aussi les tacticiens français, si longtemps engourdis dans leur vaniteuse quiétude, tirés brusquement de leur torpeur, se jetèrent-ils avec emportement dans les voies nouvelles. Aux yeux de ces novateurs, il ne devait pas être seulement question de rajeunir un règlement vieilli, d’aménager plus ou moins adroitement un édifice vermoulu qui s’écroulait de toutes parts : il fallait reprendre l’œuvre et l’édifier sur des bases nouvelles.