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mode d’action de l’infanterie. En acclamant ainsi ce qui était, à leurs yeux, une véritable révolution tactique, c’est-à-dire le combat par masses de tirailleurs et par compagnies indépendantes, ils eurent soin de baptiser cet « ordre nouveau » d’un nom nouveau aussi, et l’appelèrent « l’ordre dispersé ! »

C’était un premier pas dans la voie des exagérations que j’ai signalées plus haut. Peut-être, avec son bon sens naturel, l’armée allemande se fût-elle arrêtée d’elle-même sur cette pente glissante, car déjà une certaine réaction se manifestait contre l’abus des tirailleurs et l’émiettement des forces en petits groupes indépendans, lorsque éclata la guerre de 1870. Ce n’était pas le moment de se corriger et de modifier ses procédés : l’armée allemande les appliqua sans hésiter, les élargit encore, et les porta à un degré de développement qui passait toute mesure, ainsi que je le montrerai plus loin.


V

Un pareil mouvement d’opinion ne pouvait passer entièrement inaperçu en France. Du reste, l’amour-propre national avait été blessé de l’éclat du triomphe des Prussiens en 1866 comparé aux pénibles succès de 1859. Il se consolait bien en l’attribuant à la supériorité du fusil à aiguille, et cherchait à se rassurer en exaltant les qualités du chassepot, mais la confiance était atteinte. On sentait bien, en France, qu’une révolution aussi profonde dans l’armement ne pouvait manquer d’amener de sérieuses modifications dans la manière de combattre ; on savait, du reste, quoique confusément, que des faits tactiques nouveaux s’étaient produits, que les victoires prussiennes n’étaient pas seulement dues au fusil nouveau, mais aussi et surtout à la manière de s’en servir. Ces sentimens de curiosité et d’appréhension ne tardaient pas à causer un malaise général assez vif pour forcer le haut commandement à sortir de la quiétude où il sommeillait depuis si longtemps. Une nouvelle révision du règlement fut décidée (1867) ; mais elle resta timide et maladroite ; elle manqua de méthode et de principes, elle n’aboutit qu’à une imitation bâtarde, à une copie assez grossière des procédés allemands, dont on ne sut pas dégager l’esprit et qu’on amalgama tant bien que mal, plutôt mal que bien, avec les prescriptions réglementaires de notre tactique officielle d’alors. On admit bien cette fois, — il fallait en passer par là, — la rupture du bataillon en sous-unités d’effectif moindre, appelées colonnes de division, mais sans leur laisser aucune autonomie de manœuvre, aucune