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Au lieu de rêver d’une tactique nouvelle, rêve dont il connaissait bien, du reste, toute l’inanité, Napoléon eût, sans doute, mieux fait de s’attacher à bien fixer sa tactique propre, qui était bonne, et à l’empêcher de dévier sous ses yeux mêmes.

En effet, dans les dernières guerres impériales, une double déviation se produisait, sous la pression des événemens. Une réaction se fit d’abord contre les tirailleurs. Par suite du manque de procédés réguliers et réglementaires pour manœuvrer en tirailleurs, les hommes, une fois lancés en avant, se trouvaient abandonnés à eux-mêmes pour toute la durée du combat ; ils agissaient spontanément et à leur guise ; ils étaient perdus pour le chef de la troupe, auquel ils échappaient entièrement. De là une première répugnance à lancer beaucoup de ces tirailleurs qu’une appellation trop méritée traitait d’ « enfans perdus ». Cette répugnance ne lit que s’accroître à mesure que les cadres et les troupes devinrent plus jeunes et moins solides. Du reste, toutes les armées européennes s’étant à leur tour entourées et couvertes par des tirailleurs, le rôle de ceux-ci parut diminuer.

De leur côté, les colonnes de bataillon qui avaient renversé avec tant d’aisance les belles ligues prussiennes ou autrichiennes se heurtèrent à d’autres colonnes mieux préparées à leur choc, et l’on ne revit plus les triomphes éclatons des premiers jours. Il était naturel de chercher à les retrouver, et il paraissait logique de le faire en augmentant la force, c’est-à-dire l’effectif des colonnes. C’est pourquoi, vers la fin de l’Empire, on commença à grossir peu à peu les colonnes, à remplacer la colonne souple et légère du bataillon par des colonnes de régiment, de brigade, de divisions entières même.

Diminution des tirailleurs, augmentation de la force des colonnes, tel fut le double mouvement qui entraîna peu à peu la tactique française pendant les dernières années des guerres impériales.


III

Napoléon disparu, les guerres s’arrêtèrent. L’armée, un moment dispersée, dut, en se reformant, admettre dans son sein beaucoup d’officiers qui n’avaient pas été formés à l’école de nos grandes guerres. Ceux-ci en étaient restés, en tactique, au règlement de 1791 : or, ce règlement était encore, je l’ai expliqué, la loi écrite de nos armées. C’est ce qui fait comprendre comment ce règlement reprit à la longue un empire absolu sur les esprits. Les protestations répétées des hommes qui avaient le plus et le