Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/715

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même temps l’affirmation la plus énergique du principe et l’exception qui y serait faite pour une fois, une seule, sans qu’elle puisse constituer un précédent : mais la formule, une fois trouvée, servira certainement de passe-partout pour l’avenir. Peu importe au Sénat qu’on accepte ses propositions avec des restrictions mentales, pourvu qu’on les accepte. Il faut reconnaître que la haute assemblée a très bien manœuvré et qu’elle s’est établie sur de fortes positions.

Les subtilités de cette nature, si elles intéressent et passionnent même les assemblées, laissent le public tout à fait indifférent. Le seul point qui, dans le budget, ait vivement attiré et retienne l’attention est le droit d’accroissement. On connaît la question : elle a fait couler des flots d’encre, et aussi des flots d’éloquence, depuis quelques années. Les congrégations religieuses ont des biens. Comme ceux-ci ne se transmettent pas de personne à personne, au fur et à mesure des décès, puisqu’on a affaire à une collectivité permanente, il a bien fallu trouver une combinaison fiscale qui permît au trésor de prélever l’équivalent de ce qu’il toucherait si ces biens n’étaient pas immobilisés entre les mains d’une personne morale, laquelle n’existe d’ailleurs que par une fiction de la loi. À cette fiction on en a opposé une autre, celle de l’accroissement de propriété dont chaque membre de la congrégation bénéficie lorsque l’un d’eux vient à mourir : il y a là, qu’on nous passe le mot, un héritage figuré sur lequel le fisc perçoit un impôt de mutation. Rien ne serait, en somme, plus légitime s’il n’existait pas déjà un droit de mainmorte, qui a tout juste le même objet : comment nier que le droit d’accroissement, accolé au droit de mainmorte, ne constitue un pléonasme fiscal ? Mais le fait existe. On a trouvé en 1880 que le droit de mainmorte, auquel, — et ce point mérite d’être noté, — échappent toutes les congrégations non autorisées, était insuffisant, et on l’a doublé par le droit d’accroissement. Puis, la loi nouvelle a été jugée encore insuffisante : on l’a perfectionnée en 1884, et on a décidé que, toutes les fois qu’une congrégation perdrait un de ses membres, la déclaration de décès devrait être faite dans toutes les communes où la congrégation est représentée, et que chaque déclaration donnerait naissance à une taxe. Enfin, la part d’accroissement sur laquelle le droit était établi devait être au moins de 20 francs. Le fonctionnement de cette double obligation, celle de la déclaration multiple et celle de l’établissement du droit sur un minimum de 20 francs, alors que la réalité correspond souvent à quelques centimes, a produit des résultats monstrueux. Lorsque, pour la première fois, en 1890, M. Clausel de Coussergues les a fait connaître à la tribune, il y a eu un soulèvement de la conscience publique. Le gouvernement a reconnu tout de suite qu’on était en présence d’une véritable iniquité et qu’il fallait y remédier au plus vite. Comment ? Cela était facile. On pouvait soit renoncer à la déclaration multiple, comme le demandait M. Clausel