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consommateurs entre l’océan Glacial et l’océan Indien. Il faut remettre en valeur trois cent mille hectares laissés en friches : plus du quart de la superficie que les Annamites cultivaient naguère ; ces champs ont été abandonnés depuis quinze ans, depuis que nous avons introduit au Tonkin les bienfaits de notre civilisation, un peu gauche à ses débuts, et méconnue par les pirates.

M. de Lanessan se plaît à suivre dans l’avenir les prolongemens de l’œuvre qui lui échappe, inachevée ; œuvre déjà considérable, si vraiment il laisse au Tonkin un pays pacifié, une population soumise, des pouvoirs indigènes rattachés à notre cause, un budget remis en équilibre, des industries françaises bien lancées, des mines en exploitation, des travaux de défense et d’utilité, chemin de fer, routes, blockhaus, casernemens, hôpitaux ; des villes embellies comme Hanoï, doublées d’importance comme Haïphong, et même éclairées à l’électricité. Restons-en sur ce dernier étonnement. J’ai résumé la description qu’il nous fait ; je serais heureux de la vérifier sur place. Il est équitable d’ajouter ceci : les témoins de bonne loi qui arrivent du Tonkin ou écrivent de ce pays, sont unanimes à signaler l’essor rapide de la colonie. Quelques-uns critiquent les tâtonnemens, les mesures où ils voient des erreurs et des fautes ; mais leurs préventions personnelles contre l’ancien gouverneur ne les empêchent pas de conclure comme un observateur en qui j’ai toute confiance, et qui m’écrivait récemment : « Pour la première fois une tentative de longue haleine permettait de marcher sur un terrain connu, et qui, même mauvais, vaut mieux que l’inconnu ; pour la première fois, un même gouverneur assurait l’achèvement des choses commencées ; et puis, il avait le don de communiquer la vie ! » S’il en est ainsi, la colonie ne saurait trop regretter que son gouverneur ait encouru la mort civile en perpétrant ce crime unique, sans excuse et sans précédent, de donner cinq mille francs à un journaliste parisien pour que ce héraut corroborât les dires de tous les témoins désintéressés.

Le commandant Famin parle du présent avec assurance, sans lyrisme ; mais sa foi dans l’avenir du Tonkin n’est pas moins robuste que celle de M. de Lanessan. C’est un trait commun à tous ceux qui ont travaillé dans ce pays, l’enthousiasme et l’amour pour une acquisition si longtemps décriée chez nous : ils ne souffrent pas qu’on la discute, ils s’indignent contre les détracteurs, ils aspirent à retourner sur les rives du fleuve Rouge. Il y a là un indice moral qui permet d’apprécier sûrement la valeur d’une colonie. M. Famin a restreint ses études à la région où il opérait, le deuxième territoire militaire, qui comprend les