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derniers restes d’égoïsme, plus compatissant aux misères d’autrui et plus voué au bien de ses semblables. Aussi la morale que l’auteur tire du récit de cette double destinée n’est-elle pas une leçon de révolte ou de désespoir, mais une leçon de courage et de foi. « La mort de sa femme, dit-elle en parlant de David Grieve, la fin tragique de sa sœur, laissèrent sans doute dans son âme des traces ineffaçables et comme des cicatrices ; mais, bien que changé, il ne se trouva, en fin de compte, ni invalide ni malheureux. Une foi durable était née en lui des expériences morales de sa vie et les angoisses de sa propre pitié l’avaient amené à placer une entière confiance dans la miséricorde divine… Il lui sembla que Dieu avait fait son éducation par les affections naturelles, par les repentirs, par les chagrins même qu’il avait éprouvés et aussi par les constans efforts de son intelligence. Jamais la voix de Dieu n’avait retenti plus clairement en lui, jamais il n’avait mieux senti la réalité de la paternité divine. C’était la vit ; éternelle qui commençait en lui. »

Il y a dans David Grieve comme dans Robert Elsmere des longueurs, de véritables digressions, — par exemple l’épisode du voyage de David à Paris et de sa rencontre avec Henri Regnault ; — l’intérêt, au lieu d’être concentré sur quatre ou cinq acteurs principaux, est dispersé sur trop de comparses. Cependant les caractères sont déjà mieux tracés ; les contours sont plus nets, les ombres et les lumières plus accentuées, trop accusées même parfois, comme dans la scène où Louise, après avoir reçu l’hospitalité dans la famille de son frère, se met en colère à propos d’une querelle d’enfant, et se conduit comme une folle furieuse. En revanche, il y a plusieurs momens vraiment pathétiques, par exemple celui-ci où le ministre Ancrum empêche David pour la seconde fois de se tuer.

« Le petit homme, boiteux, se campa devant la porte et l’empêcha de passer : « Pourquoi vous mêlez-vous de mes affaires ? lui cria David, les lèvres frémissantes. — Parce que, répondit Ancrum d’une voix grave, quand un homme a une fois déjà conçu le péché du suicide, il n’a pas le droit d’être traité par son entourage comme s’il était encore innocent ! » Grieve s’avança irrité, un bras levé. « Ah oui ! lui cria Ancrum, vous pouvez m’écarter de votre chambre. Je ne suis pas de taille à lutter contre vous. Faites-le donc, si vous en avez le cœur ! Oubliez-vous que je vous ai déjà sauvé du désespoir, tiré de la gueule de la mort ?… Vous vous imaginez, je pense, parce que je ne suis qu’un pauvre infirme, parce que j’ai quelque conviction religieuse et que je ne sais pas lire vos livres français, que je ne puis pénétrer dans la nature et les sentimens d’un homme ! Eprouvez-moi ! Lorsque vous