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à Oxford, et qui est entré dans la carrière ecclésiastique plutôt par enthousiasme que par raison. Il commence par se dévouer sans réserve à sa paroisse de Murewell (Surrey), organise un cercle d’ouvriers, s’efforce d’améliorer les logemens insalubres, veille les malades en temps d’épidémie. Au nombre de ses paroissiens se trouve un M. Wendower, vieux célibataire regorgeant d’érudition historique, mais égoïste et sceptique, qui vit au milieu de sa bibliothèque, et sans le moindre souci du devoir social. Ce dernier lui prête des livres de critique allemande, lui fait goûter aux fruits de l’arbre de la science, et notre jeune vicaire en vient à perdre la foi aux dogmes de l’Église anglicane, Elsmere traverse alors une crise douloureuse, partagé qu’il est entre son attachement aux doctrines de son enfance, aux œuvres qu’il a entreprises, et les exigences de la vérité et de la loyauté, qui ne lui permettent plus de rester ministre d’une Eglise dont il n’admet plus les croyances.

Ce qui rend la crise plus aiguë, c’est qu’il est marié et que sa femme est inébranlablement attachée à la foi orthodoxe. Catherine Leyburn, sa femme, est un beau type de puritaine « pour qui la vie signifie abnégation, contrainte, mortification, et qui se méfie de toute joie personnelle comme d’un piège de Satan ; » mais c’est un cœur d’une pureté immaculée et d’un dévouement admirable aux malheureux. Sa conception du mariage, de l’éducation en commun des enfans, est tellement dominée par ses croyances orthodoxes que, lorsqu’elle apprend que Robert les a abjurées, son amour pour lui en est presque éteint et qu’elle regarde, avec une horreur mêlée de pitié, cet homme qu’elle a épousé croyant, et en qui, devenu incrédule, elle ne peut plus reconnaître ni son mari, ni son guide spirituel. On se représente la douleur d’Elsmere, destitué des certitudes qui avaient été son appui dans les luttes de la vie, renié par ses anciens collègues, raillé par M. Wendower, et moralement abandonné par sa femme bien-aimée, la compagne de ses premiers travaux, et la fiancée de sa jeunesse !

Et pourtant, cette crise ne se termine ni par une rupture entre les époux, ni par le désespoir. Elsmere, sur le conseil de son vieux maître de philosophie ; morale, Henry Grey, donne sa démission de vicaire de l’église anglicane, s’établit à Londres, et là, dans un quartier pauvre, ouvre ; une salle de conférences populaires. La paix rentre peu à peu dans son âme, avec la satisfaction d’un devoir accompli ; sa foi nouvelle se relève sur la base de la conscience et de l’expérience de la vie religieuse. L’apaisement se l’ait aussi chez Catherine. Son esprit, d’abord