Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/652

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sacré. Il y trouva l’occasion et l’inspiration de son chef-d’œuvre, que dis-je, de cinquante chefs-d’œuvre : les Psaumes. Nous avons vu comment le sujet lui fut offert. Il le prit avec enthousiasme, avec une crainte religieuse aussi, mais surtout avec la noble ambition de rappeler son art à un idéal que son art alors menaçait de trahir. « Pour fournir à la musique, dit-il dans la préface des Psaumes, un digne sujet de se faire entendre avec la véritable efficacité de sa gravité naturelle ; pour qu’elle puisse agir, non pas à l’égal de la musique antique, car les lois et les temps sont changés, mais en se conformant, du moins selon l’usage consacré, au culte de la Divinité, j’ai fait choix d’un saint travail et d’une matière divine, qui n’est autre que la présente traduction poétique des Psaumes[1]. »

Il y a cinquante Psaumes de Marcello, non pas traduits littéralement, mais paraphrasés d’après le texte du Prophète-Roi. Ils sont peut-être, avec les cantates de Bach, ce que le lyrisme musical classique a produit de plus grand et de plus fort. Le lyrisme ! On sait assez, depuis que M. Brunetière, en ses leçons de Sorbonne, l’a fait magistralement savoir, on sait assez, disons-nous, ce qu’il est en poésie : « De tous les genres le plus intime et le plus personnel, et cela non seulement dans son fond ou dans son expression, mais dans ce que sa forme a de plus extérieur et presque de plus matériel[2]. » En musique également le lyrisme est un genre où s’affirme et s’accuse la personnalité de l’artiste. Schumann en notre siècle l’a prouvé ; plus d’un siècle auparavant Marcello déjà en avait témoigné, et si, comme le montre encore M. Brunetière[3], « en tous lieux et à toutes les époques de l’histoire, le lyrisme, pour se développer, a besoin d’être favorisé par le développement de l’individualisme, » le compositeur des Psaumes n’est peut-être un grand lyrique que pour avoir été avant tout un grand maître de la mélodie, c’est-à-dire de l’individualisme musical.

Dans les Psaumes, plus que partout ailleurs, elle triomphe et règne, la mélodie. Elle est la seule interprète de l’âme ; par elle seule est traité le grand, l’unique thème des Psaumes, lequel n’est autre que l’idée de Dieu. Quand M. Brunetière se plaint[4] que

  1. « Per renderle adunque un degno argomento di farsi udire nella sempre utile sua gravita naturale, e se non efficace al pari dell’ antica per la differenza delle leggi e dei tempi, almeno conforme nell’ uso consacrato al culto della Divinita, si e cercato un lavoro di sacra e divina materia, quale si è la présente poetica traduzione dei Salmi. »
  2. M. Brunetière, l’Évolution de la poésie lyrique en France au XIXe siècle ; Paris, Hachette.
  3. Id., op. cit.
  4. Id., op. cit.