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voix. Les pastorales dramatiques exécutées à Florence dans les dix dernières années du XVIe siècle ne sont autre chose que des récitations de ce genre. En février 1600, quelque dix ans après la mort de Palestrina, un mystère d’Emilio del Cavaliere se jouait à Rome dans l’église oratorienne de Santa-Maria in Valicella. A Florence, au mois d’octobre de la même année, à l’occasion du mariage de Marie de Médicis avec Henri IV, on représentait les premiers opéras : l’Orphée de Péri et Caccini, le Cephale de Caccini, et les derniers mois du grand siècle polyphonique voyaient la naissance de ; la mélodie.

Les deux siècles suivans en ont vu la croissance et la splendeur. Des maîtres de génie jalonnent le XVIIe et le XVIIIe siècle de leurs noms trop ignorés et de leurs œuvres, hélas ! encore moins connues que leurs noms. C’est Carissimi, c’est Cesti, c’est Legrenzi, c’est Caldara, c’est Lotti ; enfin, le dernier de tous, et peut-être le plus grand, c’est Marcello. Qu’elle était noble et pure, la mélodie, en ce premier éclat de sa jeune fleur ! A Mantoue, à Ferrare, à Venise, par toute l’Italie, dans la joie ou dans la douleur, on chantait. On chantait à pleine voix, à voix nue, et cette nudité faisait la voix plus belle. Le chant se suffisait à lui-même ; presque sans accompagnement, sans harmonie, il donnait toute la mesure du génie et de l’âme italienne ; il était, il agissait seul, faeeva da se.

De cette âme et de ce génie, la mélodie forcément devait résulter ; elle en est le produit naturel et nécessaire ; elle les exprime et leur ressemble. Avant tout, la mélodie est chose simple. Existant par la succession et non par la combinaison, sans être aussi élémentaire que la note, ce corps simple par excellence de la musique, elle l’est beaucoup plus que l’harmonie et surtout que la symphonie, dont elle constitue le sujet et la matière première. Il semble en outre que la mélodie ait quelque chose de plus concret que l’harmonie ; quelque chose aussi de plus plastique et de plus sensible, pour ne pas dire sensuel. L’oreille en jouit tout d’abord, et si dans cette jouissance l’intelligence ne laisse pas d’intervenir, c’est à coup sûr par une opération élémentaire et qui coûte peu de peine. Or ces caractères de simplicité, de réalité définie, de personnalité formelle, sont au plus haut degré les caractères de l’esprit italien, que dis-je ? de l’esprit latin, classique, de l’esprit de l’antiquité. Voilà pourquoi la musique antique était presque exclusivement mélodie, voilà pourquoi c’est en Italie que la mélodie devait reparaître, et qu’elle reparut en effet. Comme les marbres et les bronzes avaient dormi sous le sol ancien, elle aussi, mais d’un sommeil plus long de deux cents années, elle dormit, suspendue et flottant dans l’air. Un jour, je ne sais quelle