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d’un jeune laïque, l’ardeur pour les hautes connaissances avec le respect pour la religion, et d’être une des ancres qui rattachèrent un libre penseur à l’Évangile, dans un siècle où l’apologétique chrétienne fut si faible.

Le long regard que nous avons jeté sur la série des études que Jean-Jacques a poursuivies aux Charmettes, nous permet de nous faire une idée juste du développement de son esprit et de nés connaissances. Tout un chapitre de sa biographie s’éclaire et se précise ainsi ; mais ce n’est pas là qu’il faut chercher le point de départ de son action dans le monde et dans l’histoire des idées. Ses vues politiques, par exemple, n’ont germé et mûri que beaucoup plus tard. Son opposition aux philosophes de son temps, sa hardiesse à entreprendre d’exercer contre eux une réaction inattendue, ne s’est manifestée que quand il les a eu bien connus, et que le descendant des réfugiés a senti les différences qui le séparaient d’eux. — Le tour romanesque de son imagination, et sa conception idéale d’un amour idyllique, remonte au contraire plus haut chez lui, à la lecture de l’Astrée dans son enfance, et dans les années qui suivirent, à quelques rencontres qui lui laissèrent de longs souvenirs. Ces rêves ne pouvaient fleurir aux Charmettes : c’était assez pour souffler sur eux et les bannir, de la présence continuelle de Rodolphe Winzenried, de ce gaillard déluré et content de lui-même, qui lui fut sans, façon préféré.

Sur un seul point, l’auteur de la Nouvelle Héloïse et l’Emile a dû beaucoup aux études qu’il a faites, en 1738 et 1739, aux convictions réfléchies qui s’établirent chez lui. C’est à cette époque qu’il faut remonter pour voir se dessiner une première fois, dans l’âme de Rousseau, les linéamens de la philosophie religieuse qui est enseignée dans les lettres de Julie et ses entretiens à son lit de mort, dans les discours du vicaire savoyard au jeune homme qu’il catéchise.

Il y a cinq points à considérer, où s’accordent entre eux le piétisme romand d’origine allemande, les souvenirs que Mme de Warens a gardés des enseignemens qu’elle a reçus de Magny, et les vues religieuses que Rousseau a portées devant le public français. Un sentiment de piété qui tient une large place dans le cœur sincère, dans la vie de tous les jours ; — une grande indépendance en face de l’autorité traditionnelle : le sens individuel se mettant au-dessus de tout ; — une notable indifférence pour les questions débattues entre les controversistes protestans et catholiques, et une certaine manière de planer au-dessus des barrières confessionnelles ; — l’idée de Dieu, absorbant et comme engloutissant, les autres idées théologiques, et constituant presque