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Conseil, Jacob Trembley, et tante (à la mode de Bretagne) de Jean-Jacques Rousseau.

En 1724, Mme de Warens quitta Lausanne pour revenir à Vevey, et paraît avoir aussitôt renoué les relations les plus intimes et les plus familières avec le vieil ami qui la connaissait depuis sa naissance, depuis vingt-cinq ans. La confiance et le bon accord qui respirent dans les lettres qu’elle eut à lui écrire, indiquent le rapprochement amical qui s’opéra entre eux quand ils se retrouvèrent après onze ans de séparation. Pas plus alors qu’auparavant, Magny ne voyait en elle une personne convertie, entrée dans les sentiers de la haute piété ; mais elle demeurait à ses yeux une de celles dont on ne devait pas cesser d’espérer beaucoup. C’est à la grâce à toucher les cœurs. Magny l’attendait avec la patience d’un croyant, et se plaisait à retrouver près de sa jeune amie le souvenir d’un temps déjà lointain qui avait, été heureux pour elle et pour lui.

Le moment approchait où la jeune femme, inexpérimentée, allait compromettre sa fortune et son avenir dans de malheureuses entreprises industrielles. M. de Montet a donné le détail de cette lamentable affaire. La déconfiture arriva au bout de peu de mois. Quand Mme de Warens vit venir la ruine, elle ne voulut pas accepter l’humiliation que son incapacité lui avait préparée : elle dénoua par un coup d’éclat une situation embarrassée. Dans l’été de 1726, elle alla en Savoie se jeter aux genoux de l’évêque de Genève, lui disant qu’elle voulait entrer dans l’église catholique. Elle rompait avec tout son passé ; une vie nouvelle commença pour elle.

Dans cette conversion, les questions d’argent et d’amour-propre jouèrent un rôle que M. de Montet a mis hors de doute. La part de la sincérité doit être néanmoins reconnue. Un séjour en Savoie, que Mme de Warens avait fait l’année précédente, l’avait charmée. Elle y avait appris à connaître l’Eglise catholique. Quand elle fut revenue à Vevey, si elle a causé avec Magny des impressions que son voyage lui avait laissées, et si elle lui a dit que ses préjugés de protestante s’étaient ébranlés dans son esprit, le vieux piétiste l’aura frappée sans doute par son assentiment. Les auteurs qu’il avait traduits en français, Lobstein et Tennhard, l’avaient habitué à une manière impartiale de comparer les Églises, et il était prêt à reconnaître que le protestantisme demeurait inférieur à quelques égards. Mme de Warens a pu sentir l’attrait qu’offrent à l’âme les belles cérémonies du culte catholique ; elle a pu être frappée de l’autorité qui s’attache à ses traditions séculaires, être touchée de la foi vivante de l’évêque de Genève,