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progressive des dolichocéphales dans la masse rend d’ailleurs une telle lutte impossible. Et si l’on répond que ce progrès de la démocratie ethnique, laquelle va du même pas que la démocratie politique, menace l’humanité d’un abaissement universel, nous répondrons à notre tour : — Tout dépend du soin qu’auront ou n’auront pas les démocraties de maintenir dans leur sein une élite naturelle, d’assurer une libre voie à la sélection des supériorités, quelle que soit la forme de leurs têtes. On a eu raison de comparer l’élite d’un peuple à la locomotive, qui seule a un mouvement propre, et la masse à la longue suite de wagons inertes, qui cependant arrivent à rouler aussi vite que la locomotive ; mais rien ne permet d’ajouter que les supériorités, nécessaires pour entraîner tout le reste, soient liées à de légères variations de l’indice céphalique et que l’élévation universelle de cet indice, en aboutissant à élargir toutes les têtes, aboutira à rétrécir tous les esprits.

Les anthropologistes dont nous parlons ne pouvaient manquer de prendre au tragique le croisement de plus en plus universel des têtes longues et des têtes larges ; dans la désharmonie des formes qu’ils croient trouver chez ces « métis », ils voient l’image d’une désharmonie intérieure[1]. — Par bonheur, leurs conclusions sont encore ici tout hypothétiques. Les relations des qualités mentales à telles particularités crâniennes sont trop mal déterminées pour permettre de prévoir le résultat des métissages, surtout entre blonds et bruns. Dans les mélanges, les caractères essentiels des types se transmettent chacun pour soi et sans solidarité avec les autres, de telle sorte que le croisement du dolicho-blond et du brachy-brun, par exemple, pourra produire des métis dolicho-bruns et brachy-blonds, outre un petit nombre

  1. Déjà, disent-ils, nous n’apercevons plus dans nos villes que sujets aux yeux clairs et aux cheveux foncés, ou l’inverse ; que visages larges associés à des crânes arrondis ; la barbe est d’un autre type que les cheveux ; « des brachycéphales portent des têtes d’Aryas », usurpation inique ; d’autre part, « de petites têtes de Méditerranéens sont perchées sur des cous d’Aryas plus gros qu’elles et surmontent des troncs gigantesques. » — Qu’eussent dit ces pessimistes en apercevant Mme de Sévigné avec un œil bleu et l’autre noir ? — Dans un instant, continuent-ils, vous verrez la dissymétrie des organes intervenir comme « cause d’extinction des populations métisses. » Au moral, que d’hommes tiraillés par des tendances opposées, qui pensent « le matin en Aryas et le soir en brachycéphales, » changeant de caractère, de volonté, de conduite au gré du hasard ! Voilà le spectacle que donne la psychologie des « sang-mêlés » de nos plaines et de nos villes. On ajoute, pour ces métis des blonds et des bruns, comme pour ceux des blancs et des noirs, que « l’égoïsme est leur caractéristique, » ainsi que « l’inconstance, la vulgarité, la poltronnerie. » Le Celte a déjà grand souci de sa personne, de ses intérêts, des intérêts de ses proches, de tout ce qui ne dépasse pas son horizon assez étroit. Croisez-le avec un Germain ; l’individualisme énergique de ce dernier viendra renforcer la tendance personnelle du premier ; d’autre part, les instincts germaniques de solidarité humaine seront neutralisés par l’esprit de clocher celtique ; résultante générale : égoïsme chez les métis. — Telle est la chimie anthropologique des caractères.