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L’Autriche put ainsi garder, jusqu’à la conclusion de la paix, une attitude de belligérant sans en assumer les charges, contrairement aux prévisions de son représentant à Constantinople. Cette conduite lui a-t-elle été profitable ? Elle a laissé, dans l’âme du peuple russe et de son gouvernement, le germe d’un profond ressentiment dont la Prusse a su tirer un si merveilleux parti en 1866. Si elle avait pris résolument les armes dès le mois de décembre 1854, son intervention aurait mis fin à la guerre deux ans plus tôt et lui aurait acquis des droits dont la France et l’Angleterre lui auraient peut-être tenu compte quand elle a été l’objet d’une injuste agression.

Quoi qu’il en soit, la convention du 2 décembre ne permettait plus, au général de Hess, de conserver, dans les Principautés, la position exclusive qu’il n’avait cessé de revendiquer. Stimulée par les représentans de la France et de l’Angleterre, la Porte donna l’ordre à Omer-Pacha de se porter en avant ; mais pendant qu’on lui adressait ces instructions, le général ottoman rappelait ses troupes pour les réunir sur la rive droite du Danube. La saison, écrivait-il, était trop avancée pour marcher sur le Pruth, et dès lors il jugeait opportun de renoncer à une opération désormais tardive dans une contrée où l’ennemi pouvait tirer avantage des positions solides qu’il y occupait, pendant que l’armée turque y rencontrerait des obstacles que les rigueurs de l’hiver rendaient insurmontables. Autour du général de Hess, on prétendit que Omer-Pacha n’avait jamais eu le dessein de s’engager sérieusement à la poursuite des Russes sans être assuré de la coopération de l’armée autrichienne. Je ne sais si cette allégation a été fondée à un moment quelconque. Ce qui est certain, c’est que du jour où il se heurta aux prétentions du commandant des troupes impériales, le général ottoman se renferma dans une abstention personnelle qui autorisait toutes les conjectures. J’ai eu, sous les yeux, sa correspondance ; elle ne témoignait ni d’un désir bien ardent de se mesurer avec les Russes, ni d’un ressentiment bien vif contre ceux qui y mettaient obstacle. En réalité les Autrichiens, malgré leurs protestations réitérées de prêter, aux alliés, un concours actif et prochain, se cantonnèrent dans les Principautés et ne prirent aucune part à la guerre. Omer-Pacha, de son côté, se réserva, et il put bientôt rejoindre l’armée anglo-française devant Sébastopol. Si tel a été son désir, il l’a réalisé, mais sans grand bénéfice pour sa renommée de généralissime.

Sur ces entrefaites, Rechid-Pacha fut appelé au grand vizirat. Le ministre qui avait occupé ce poste jusque-là ne possédait ni l’autorité ni les aptitudes nécessaires pour le remplir. Il y avait